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Analyse

Extrême droite : l’Autriche vers la «démocrature»

En confiant six ministères sur treize au FPÖ, dont l’Intérieur et les Affaires étrangères, le chancelier conservateur, Sebastian Kurz, assume sa ligne patriote et fait craindre une dérive autoritaire.
Le président autrichien, Alexander Van der Bellen, entouré de Sebastian Kurz et du leader du FPÖ, Heinz-Christian Strache, à Vienne, en 2017. (Photo Hans Punz. APA. AFP)
publié le 17 décembre 2017 à 20h26

L’Autriche suit-elle le chemin de la Hongrie ? Dix-sept ans après la première coalition «noire-bleue», l’extrême droite est de nouveau au pouvoir dans la république alpine. Deux mois après les élections législatives du 15 octobre, le chancelier conservateur, Sebastian Kurz, qui prête serment ce lundi, présentait samedi le nouveau gouvernement au côté du vice-chancelier d’extrême droite, le leader du Parti de la liberté d’Autriche (FPÖ), Heinz-Christian Strache.

Pour la petite histoire, cette conférence de presse se déroulait sur le mont du Kahlenberg à Vienne, où prit fin le siège de la capitale autrichienne et où débuta la reconquête de l'Europe centrale par les forces chrétiennes contre les Ottomans, en 1683. Kurz eut beau commenter le choix de ce lieu d'un évasif «il ne faut pas lui accorder une signification trop importante», la symbolique reste forte dans un tel contexte, celui de l'annonce de l'union entre deux partis qui ont fait de l'islamophobie et de la xénophobie leur principale orientation programmatique. Réunis à Prague samedi au sein du Congrès de l'Europe des nations et des libertés (ENL), leur groupe au Parlement européen, des élus d'extrême droite se sont réjouis de la nouvelle. «J'applaudis notre ami [Heinz-Christian Strache]», a ainsi déclaré le Néerlandais Geert Wilders, patron du Parti pour la liberté (PVV), rejoint par Marine Le Pen, qui a évoqué un «événement véritablement historique».

Mauvais signal

Qu’un accord de coalition aboutisse entre les conservateurs et l’extrême droite en Autriche ne surprend personne. La seule inconnue demeurait le nombre de portefeuilles obtenus par le FPÖ. Et c’est un raz de marée. Le parti d’extrême droite remporte six des treize ministères, dont plusieurs régaliens : la Défense, les Affaires étrangères et l’Intérieur - ces deux derniers lui ayant jusqu’ici toujours échappé. Mais la chancellerie garde toutefois la tutelle des Affaires européennes.

Cet arrangement est éminemment tactique : le président Vert Alexander Van der Bellen, élu de justesse en 2016 face au candidat FPÖ Norbert Hofer (qui obtient le portefeuille des Transports et des Infrastructures), avait annoncé qu'il n'introniserait pas de gouvernement ou de ministres ouvertement anti-européens. En outre, l'Autriche prendra la présidence tournante de l'Union européenne à partir de cet été. Sebastian Kurz a d'ailleurs pris soin d'évoquer ce week-end un «engagement européen clair», et a exclu tout référendum sur une éventuelle sortie de l'UE, tout en revendiquant davantage de marge de manœuvre pour les Etats membres. Une politique dans la lignée de ses convictions, voire, au fond, de celles de Strache, leur objectif commun n'étant pas tant de batailler contre l'UE que de promouvoir une politique nationaliste et hostile à l'immigration… Tout en évitant habilement de crisper trop rapidement les Etats membres.

Ce nouveau gouvernement est aussi un très mauvais signal à l’adresse du projet européen d’Emmanuel Macron et d’Angela Merkel. Désormais, à Bruxelles, le Groupe de Visegrád - alliance informelle entre les Etats membres antiréfugiés regroupant la Pologne, la Hongrie, la République tchèque et la Slovaquie - dispose de nouveaux promoteurs.

Contrôle des médias

Ainsi, le charismatique Sebastien Kurz, 31 ans, devient le plus jeune leader européen. Lors des législatives, sa liste avait obtenu 31,5 % des voix, au terme d’une campagne adroite où il s’était finement démarqué du Parti populaire autrichien dont il est issu, l’ÖVP - le tout dans un contexte difficile, marqué par la lassitude des électeurs à l’égard des partis politiques traditionnels. Avec ses thématiques anti-immigration et sécuritaires, qui ont dominé la campagne, Kurz a réussi à siphonner un nombre conséquent de voix aux partis d’extrême droite du FPÖ, du BZÖ (le parti de Jörg Haider) et de la Team Stronach, un parti national populiste. On pourrait décrire l’homme comme un mélange de Jörg Haider (pour le conservatisme et l’attachement à la nation) et d’Emmanuel Macron (pour le style politique, la jeunesse, le lancement d’un «mouvement» légèrement en marge des partis traditionnels et aux atours modernes).

Politiquement, Kurz est donc un néoconservateur attaché au patriotisme culturel, aux valeurs familiales et chrétiennes, critique de la construction européenne, hostile à l'immigration. Mais un conservateur tendance moderniste, qui, par exemple, a nommé un gouvernement quasiment paritaire, et qui prône l'égalité salariale entre femmes et hommes… avec priorité à l'Autriche, naturellement. Le programme du gouvernement, qui comporte 182 pages, est entièrement dédié à la protection de l'identité du pays. Par exemple, sur le plan écologique, il s'oppose aux énergies fossiles et au glyphosate. Le tout pour le bien de la nation, ses vaches, ses fermes, ses montagnes et ses alpages. Par ailleurs, il est prévu un contrôle plus accru des médias, notamment de l'ORF, la radiotélévision publique, afin d'assurer, dixit le programme, «un reporting objectif et indépendant».

«Ce programme aurait pu être écrit par Viktor Orbán, dit Patrick Moreau, docteur en histoire et en sciences politiques, chercheur au CNRS et spécialiste de l'Autriche. Il touche absolument tous les domaines de la vie quotidienne, l'école, la sécurité, les médias, l'organisation des syndicats…» Aujourd'hui, résume-t-il, «tous les éléments sont en place pour l'instauration d'un virage autoritaire en Autriche».