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Libération
Autriche

L’Europe prête à ne pas intervenir

L’UE n’a ni la volonté ni les moyens de s’opposer à la dérive de l’Autriche, pas plus qu’à celles de la Pologne ou de la Hongrie.
par Jean Quatremer, (à Bruxelles)
publié le 17 décembre 2017 à 20h26

«Evidemment, nous ne ferons rien», avait lâché Claude Cheysson, alors ministre des Relations extérieures de Mitterrand, au journaliste qui le pressait de réagir au coup d'Etat du général Jaruzelski qui venait d'avoir lieu en Pologne, ce 13 décembre 1981. Ce sera aussi la réponse de l'Union européenne à ceux qui s'indignent que, presque quatre-vingts ans après l'Anschluss, des néonazis s'installent au pouvoir en Autriche. En 1981, ce fatalisme était justifié par le risque d'une guerre nucléaire avec les Soviétiques. Un tel risque avec l'Autriche est aujourd'hui inexistant, ce qui devrait légitimer un devoir d'ingérence dans les affaires intérieures des Etats membres. Mais il n'en sera «évidemment» rien, tout simplement parce que l'UE n'est pas une fédération mais une simple union d'Etats souverains chez eux. Certes, il existe des limites : un Etat membre doit respecter les traités européens. Mais elles n'imposent pas un type de gouvernance.

L’arrivée au pouvoir de partis fascistes, communistes, démagogiques, ne viole en soit aucune loi européenne. Un gouvernement peut aller très loin dans une dérive autoritaire sans prendre le moindre risque d’être exclu ou simplement sanctionné. On le voit avec la Hongrie et la Pologne, dont les régimes s’apparentent plus chaque jour à une «démocrature» à la turque. L’Europe est victime d’une certaine naïveté qui remonte à l’après-guerre : après le désastre de la Seconde Guerre mondiale, aucun des pères fondateurs n’imaginait qu’un jour des peuples auraient envie de renouer avec des régimes qui avaient fait la preuve, au prix de dizaines de millions de morts, de leur nocivité. Autrement dit, la démocratie ne pouvait qu’être l’horizon indépassable des peuples et il n’était nul besoin de le préciser. La chute du communisme a laissé croire en cette victoire de la démocratie et de son corollaire, l’économie de marché.

Néanmoins, certains dirigeants européens moins naïfs que leurs prédécesseurs, tels Mitterrand ou Delors, ont obtenu, au sommet de Copenhague de 1993, qu'il soit précisé en toutes lettres que tous les pays candidats devaient se doter d'«institutions stables garantissant l'état de droit, la démocratie, les droits de l'homme, le respect des minorités et leur protection». En 1997, une procédure de sanctions, mais pas d'exclusion, contre un Etat qui violerait la liberté, la démocratie, l'état de droit ou les droits de l'homme a même été prévue dans le traité d'Amsterdam. Mais l'exigence de l'unanimité (moins l'Etat concerné) rend cette procédure toute théorique. Après la crise autrichienne de 2000, lorsque les conservateurs s'étaient déjà alliés au FPÖ de Jörg Haider, le traité de Lisbonne a ajouté une procédure de mise sous surveillance. Celle-ci, pour être déclenchée, requiert «seulement» une majorité des quatre cinquièmes du Conseil européen, s'il existe un «risque clair de violation grave par un Etat membre des valeurs» européennes. Mais là encore, ni la Hongrie, ni la Pologne n'ont pu être placées sous surveillance, cette majorité étant quasi impossible à obtenir. L'Union est la chose des Etats, qui ont toujours veillé à ne pas créer une fédération dont le contrôle leur échapperait. Les démagogues peuvent dormir tranquilles.