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Libération

La générosité de façade des Etats européens

En déléguant la gestion des contrôles migratoires et en ne mettant pas en œuvre ses promesses d’accueil, l’UE n’aborde le problème que par son versant répressif.
Samedi, près de Montgenèvre, lors d'une maraude pour venir en aide aux migrants venus d’Italie. (Photo Etienne Maury. Hans Lucas pour Libération)
publié le 17 décembre 2017 à 20h56

La générosité est décidément un concept qui ne fait pas l’unanimité au sein de l’Union européenne. A l’issue du sommet des 13 et 14 décembre à Bruxelles, les pays européens ont remis à plus tard la décision sur le maintien ou non des quotas d’accueil des réfugiés. En cause, l’obstruction des pays du Groupe de Visegrád (Pologne, Hongrie, Slovaquie et République Tchèque), qui refusent toujours de prendre leur part des demandeurs d’asile qui se sont échoués en Italie ou qui sont bloqués en Grèce depuis la fermeture de la route des Balkans début 2016. Cette promesse d’accueil de 160 000 réfugiés avait pourtant été actée au plus fort de l’émotion suscitée par l’afflux de réfugiés sur les côtes grecques en 2015, alors que le corps du petit Aylan Kurdi, retrouvé noyé, était soudain devenu l’icône d’une indispensable solidarité.

Cimetière. Mais les dirigeants européens ont vite oublié le petit garçon syrien, de même qu'ils s'apprêtent à étouffer discrètement l'indignation sur les marchés aux esclaves en Libye. Car si la générosité ne fait pas consensus au sein de l'UE, la poursuite d'une politique répressive n'a jamais été remise en cause. Marché aux esclaves ou pas, les Européens devraient ainsi continuer à déléguer à des pays tiers, comme la Libye, la gestion des contrôles migratoires. Début décembre, Bruxelles a ainsi annoncé le déblocage de 15 millions d'euros pour la formation des forces de sécurité des pays d'Afrique du Nord. Or, en Libye, «le sauveteur est aussi le ravisseur», dénonce cette semaine Amnesty International Belgique dans une vidéo accablante montrant un «sauvetage» en mer au cours duquel les gardes-côtes libyens fouettent les rescapés, sur un bateau parrainé par le gouvernement italien.

Cette «externalisation» aboutit plus largement à un «chantage» délétère, constate de son côté la Cimade, qui a publié vendredi un rapport très complet décortiquant avec une précision rare les effets des pressions européennes sur les pays africains de la bande sahélienne qui voient désormais toute aide au développement conditionnée au contrôle des flux migratoires, les contraignant ainsi à «adopter la même politique répressive que l'Europe». Le même rapport fustige d'ailleurs l'hypocrisie de la «lutte contre les passeurs» dont Emmanuel Macron s'est fait le chantre récemment à Abidjan, et qui n'aboutit qu'à rendre plus dangereuses les routes des migrations et les moyens de traverser la Méditerranée : les passeurs ayant notamment renoncé aux embarcations en bois, systématiquement détruites, pour des bateaux pneumatiques, facilement remplaçables, mais qui augmentent les risques pendant la traversée. La Méditerranée est devenue un cimetière, sans rien régler : l'«obsession migratoire de l'UE» depuis quinze ans «n'a produit à ce jour aucun effet sur les arrivées en Europe qui n'ont nullement baissé», note encore la Cimade.

Indifférence. Souvent affiché en «modèle», l'accord conclu avec la Turquie en mars 2016 n'a d'ailleurs pas empêché les arrivées (15 000 personnes ces quatre derniers mois) de repartir à la hausse sur les îles grecques depuis cet été : mais qui se soucie que ces dernières se transforment en prisons ? Dans les camps surpeuplés, sans sanitaires ni chauffage, on frôle désormais la crise humanitaire. Un drame qui n'a pas lieu dans l'Afrique lointaine, mais en Europe. Dans l'indifférence générale.