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Libération
Droit de réponse

Lettre ouverte de l’ambassadeur d’Israël en France à Laurent Joffrin, directeur de la publication de «Libération»

par Aliza Bin-Noun
publié le 19 décembre 2017 à 19h56

Sous le titre «Dieu est-il diplomate ?», Laurent Joffrin s'était inquiété dans l'édition du 8 décembre d'entendre l'ambassadrice d'Israël à Paris, Aliza Bin-Noun, se référer à la Bible pour justifier la décision de Donald Trump de transférer l'ambassade des Etats-Unis à Jérusalem. Ce mélange du sacré et du politique lui paraissait néfaste à la recherche d'un compromis nécessaire à l'apaisement du conflit entre Israéliens et Palestiniens. L'ambassadrice Aliza Bin-Noun a répondu en publiant une «lettre ouverte» où elle défend sa position. Nous en publions le texte intégral, ce qui est normal dans un débat aussi complexe et délicat. Laurent Joffrin apporte les précisions qui ne pouvaient être énoncées dans son article initial.

Dans un éditorial du 7 décembre dernier [publié dans notre édition du 8 décembre, ndlr], le directeur de la publication de Libération s'attaque à mes propos tenus lors d'une interview sur France Inter au cours de laquelle j'ai rappelé tout simplement une évidence, une «lapalissade», à savoir le lien évident et naturel, historique et indéfectible, unique et indéniable entre le peuple juif et sa capitale, Jérusalem. Comment donc un journaliste au demeurant aussi avisé que Laurent Joffrin peut-il à ce point faire preuve d'ignorance ? Comment donc pourrait-on de bonne foi réfuter ce lien qui lie une ville à son peuple et, partant, à son Etat ? Doit-on réellement prouver la place qu'occupe Jérusalem dans l'histoire du peuple juif à travers les millénaires ? Depuis que le Roi David en fit sa capitale depuis que son fils, le Roi Salomon, y bâtit son Temple tel que relaté dans la Bible ? La Bible est-elle devenue un mythe ? Le Roi David une légende ? Le Temple de Jérusalem, un conte folklorique? Les Prophètes qui y ont prêché, une fable ? Une chose est sûre pourtant : tous les conquérants, au fil des siècles, de Nabuchodonosor au général Titus, s'y installèrent pour tenter justement, par le glaive et la force d'éradiquer ce lien si particulier entre le peuple juif et Jérusalem.

Est-ce donc par la plume d’un éditorial qu’aujourd’hui l’on essaie de perpétuer ce vain objectif de vouloir nier l’indéniable ? Nier le fait que tout au long de deux millénaires les Juifs du monde entier se sont tournés trois fois par jour vers Jérusalem pour prier, qu’à tous les mariages juifs célébrés sous le dais nuptial le futur époux brise un verre pour marquer le bémol à toute joie du fait de la destruction de Jérusalem, nier le fait que les combattants du ghetto de Varsovie, en avril 1943, à l’instar de tous les Juifs du monde ont prononcé le soir de la pâque juive, quelques heures avant l’assaut final des nazis, la célèbre phrase «l’an prochain à Jérusalem»…

Jérusalem est la capitale de l’Etat d’Israël. Tout simplement. Tout naturellement. Tout légitimement. Ce n’est ni une utopie, ni une légende, ni même, n’en déplaise à M. Joffrin, un mythe reposant sur je ne sais quelles aberrations archéologiques. Si demain des archéologues farfelus venaient à tenter de prouver que le site originel de Lutèce se trouverait en fait à quelques embouchures du site qui lui est prêté actuellement par les historiens, cela remettrait-il en cause légitimement le statut de Paris en tant que capitale de la France et des Français ? Paris deviendrait-il un «mythe» qu’il faudrait combattre et nier ?  N’importe quelle pierre soulevée à Jérusalem témoigne de la présence juive depuis des millénaires. Comment donc le nier en toute bonne foi et surtout, surtout, pourquoi, et dans quel but ? L’ancien émissaire spécial du président Bill Clinton pour le Proche-Orient, Dennis Ross, témoigne dans ses mémoires que lorsque Yasser Arafat décida de refuser les offres israéliennes à Camp David l’été 2000, il fit délibérément un choix tout simple : s’attaquer au lien qui unit le peuple juif à Jérusalem en déclarant que le Temple n’avait jamais été sur son site actuel (le Mont du Temple). Il savait parfaitement, estime ce diplomate américain, qu’en agissant ainsi, il attiserait les haines et les démons.

Quel objectif recherche donc Libération aujourd'hui en donnant écho à cette tentative révisionniste de nier le lien entre Jérusalem et le peuple juif ? Quel but veut-on obtenir lorsque la veille [dans l'édition du 8 décembre], Libération publie en couverture un cliché éculé d'un soldat suranné israélien face à un civil palestinien ? Attiser la haine ? Jeter des braises sur une actualité déjà fort brûlante ? En agissant ainsi, l'on prend le risque de réveiller d'autres mythes, que M. Joffrin ne cite pas et qui ont pour nom la haine de Juifs et l'antisémitisme. Non, M. Joffrin, pour notre part, nous ne cherchons pas à négocier avec Dieu ni avec ses saints. Mais tout simplement avec un partenaire palestinien qui cesserait de remettre en cause l'Histoire et accepterait de s'asseoir et négocier avec Israël directement, franchement et sans conditions préalables. Comme l'ont fait en leur temps le président égyptien Sadate et le roi Hussein de Jordanie.