S'il y a un domaine où la Catalogne et l'ensemble de l'Espagne se rejoignent, c'est bien la fracturation du paysage politique. Au niveau national, le bipôle PP-Psoe, conservateurs et sociaux-démocrates, qui s'est partagé le pouvoir depuis le retour à la démocratie à la fin des années 70, a volé en éclats en 2014 avec l'irruption de Podemos (gauche radicale) et Ciudadanos (centre). En Catalogne, région longtemps gérée par le courant catholique nationaliste de centre droit, puis par les socialistes du PSC, le paysage est dominé par l'indépendantisme de gauche (le vieux parti républicain ERC, né en 1931) et le nouveau venu Ciutadans.
L’exil ou la prison
Les élections législatives de ce jeudi, si les sondages se vérifient, devraient entériner la nouvelle géométrie. Et les hypothèses sont multiples.Le camp indépendantiste peut additionner assez de députés pour élire un président, comme en 2015 : le sortant Carles Puigdemont (du Parti démocrate européen catalan, PdeCat), destitué en octobre par Madrid, mais plus probablement son vice-président, Oriol Junqueras (ERC). Aucune des deux têtes de liste n’a fait campagne sur le terrain : le premier est en exil volontaire en Belgique pour fuir les poursuites lancées par l’Etat espagnol après avoir illégalement proclamé l’indépendance de la Catalogne le 27 octobre. Pour le même motif, le second est emprisonné depuis le 2 novembre.
Des petits partis en arbitre
Autre scénario. Si Ciudadanos (CS en version abrégée) arrive en tête avec sa médiatique dirigeante Inés Arrimadas, les centristes auront besoin de s'allier avec les socialistes du PSC, et le PP de Rajoy, qui s'attend à un score dramatiquement bas dans la région.
Reste les inconnues de Catalunya en Comú, équivalent de Podemos, et de la CUP, force anticapitaliste qui a permis l’élection de Puigdemont en 2015. Catalunya en Comú est opposé à une indépendance déclarée unilatéralement, mais semble trop éloigné idéologiquement du centrisme de Ciudadanos pour envisager un accord. La CUP, partisane de l’indépendance la plus rapide possible, a durement critiqué les errements du président aujourd’hui destitué. Avec des scores attendus inférieurs à 10 %, les deux listes seraient en position d’arbitre de l’après-scrutin. Mais rien ne dit qu’elles pactiseront.
Des stratégies opposées
Côté nationaliste, le camp jadis allié est aujourd’hui divisé. Carles Puigdemont et son vice-président, Oriol Junqueras, dont les partis avaient formé une coalition en 2015, vont aujourd’hui aux urnes séparément. Les deux hommes, poursuivis pour les mêmes raisons, ont adopté des stratégies opposées : le président sortant a quitté le pays, le numéro 2 a pris le risque d’aller en prison. Les électeurs séparatistes semblent donner raison au deuxième, crédité de 22 % des intentions de vote, contre 16,5 % à l’émigré de Bruxelles. A l’intérieur même du PdeCat, la candidature à distance du président destitué n’a pas fait l’unanimité, une partie de la direction privilégiant Santi Vila comme tête de liste. Ce ministre régional avait quitté son poste le jour même de la proclamation d’indépendance pour marquer sa désapprobation.
Un pays ingouvernable ?
Le discours de campagne de Puigdemont, relayé lors des dizaines de meetings via visioconférence depuis la Belgique, se résume à appeler l’électorat à le rétablir dans ses fonctions. Une façon citoyenne d’annuler l’application de l’article 155 de la Constitution, par laquelle le pouvoir central a mis sous tutelle la région. Car la Catalogne est aujourd’hui gérée depuis Madrid par le gouvernement du conservateur Mariano Rajoy dont la formation politique, le Partido popular (PP), pesait dans la région 8,5 % des voix lors des dernières législatives en 2015. Le choix d’un nouveau (ou nouvelle) président(e) mettrait de fait fin à la mesure. Mais le risque que les urnes accouchent d’une Catalogne ingouvernable est réel. Si les tractations entre partis pour trouver une majorité n’aboutissent à aucun accord mi-février, il faudra convoquer de nouvelles élections. La polarisation très forte a pour conséquence une hausse prévisible de la participation. Evaluée il y a plusieurs jours (la loi interdit la publication d’études d’opinion une semaine avant le vote), elle devrait atteindre voire dépasser 80 %, un record historique. Une présidente, ou un président en exil, ou un président en prison, ou pas de président du tout… Dans tous les cas de figure, la société catalane se retrouve coupée en deux blocs irréconciliables.