Paradoxe de la branchitude. Le consommateur vigilant et solidaire d'aujourd'hui attache une importance croissante à la traçabilité des produits qu'il consomme. Derrière telle marque hype, il détecte le cynisme des multinationales qui exploitent les travailleurs des pays producteurs, soumis à des conditions de travail insupportables, ou encore les prédations écologiques qui rendent possible l'arrivée de tel ou tel aliment exotique dans les linéaires des grandes surfaces. Cette bénéfique exigence s'arrête toutefois à un produit de consommation trop courante, qui ne pose pas seulement un problème de santé publique : la cocaïne. Là, au contraire, le consommateur y voit souvent une marque de distinction, une transgression chic, une rébellion du quotidien, sans se soucier, la plupart du temps, de la «traçabilité» de cette poudre magique. Et pourtant, combien de disparitions, de tortures, de meurtres, de corruptions délétères, de vendettas barbares y a-t-il derrière chaque kilo de coke importé dans les pays riches ? Quelque 200 000 morts en onze ans, une insécurité cruelle, un désordre politique incessant : la situation du Mexique, soumis à une violence inouïe pour ravitailler en paradis artificiels la puritaine Amérique, en est l'illustration parfaite. Dans Narcos, la série culte qui raconte le mieux la désagrégation des sociétés d'Amérique latine rongées par l'industrie criminelle de la cocaïne, un agent de la DEA excédé par l'impunité des narcotrafiquants roue de coups un trader new-yorkais consommateur de poudre blanche. Scène dérangeante mais révélatrice. On ne recommandera en rien cette réaction sommaire et brutale, typique de la mentalité far-west qui infuse les séries yankee. Mais peut-être la description des ravages exercés par le trafic de coke, cette modalité sanglante de la mondialisation, aidera-t-elle à une prise de conscience.
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