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Libération
Reportage

A Berlin, Jean-Luc Mélenchon ironise sur le «condominium» franco-allemand

Le patron de La France insoumise était de passage dans la capitale allemande dimanche, à l'invitation du groupe parlementaire de gauche Die Linke. Il y a largement évoqué la question de l'UE et notamment le «pseudo-couple» censé «montrer le bon chemin au reste de l’Europe».
Mélenchon (ici le 4 avril lors d'un débat télé) a dénoncé dimanche le fonctionnement d'une UE où «les gouvernements allemands de droite décident, les Français approuvent, et les autres [pays] n’ont plus qu’à suivre». (Photo Lionel Bonaventure. AFP)
publié le 15 janvier 2018 à 10h46

Au cœur de la très hiératique Karl-Marx Allee, haut lieu politique et architectural de Berlin-Est, se trouve l'ancien cinéma Le Kosmos. C'était, avant la chute du Mur, la plus grande salle de projection de toute la RDA, et c'est depuis dix ans un centre de congrès. C'est dans cette masse soviétique que le groupe parlementaire de gauche Die Linke effectuait sa conférence de rentrée dimanche. Entre deux saucisses-bières, les militants – on y a aussi aperçu Beate Klarsfeld – se sont pressés pour écouter leurs têtes d'affiche. Tout le monde était là, des figures tutélaires du parti, comme Oskar Lafontaine et Gregor Gysi, aux présidents actuels du groupe au Bundestag, Sahra Wagenknecht et Dietmar Bartsch. Ils étaient là pour blâmer, entre autres, le compromis trouvé entre le leader des sociaux-démocrates, Martin Schulz, et la chancelière Merkel afin d'ouvrir la voie à une grande coalition. Mais aussi pour parler de sujets au cœur de leur politique, comme la pauvreté des enfants – car si les caisses de l'Allemagne sont pleines et le chômage au plus bas, à Berlin, par exemple, un enfant sur trois est considéré comme «pauvre». On y a également parlé d'une des nouvelles politiques du week-end : la décision prise par la fédération régionale SPD de Saxe-Anhalt de s'opposer à une grande coalition, à peine vingt-quatre heures après l'annonce d'un compromis entre Schulz et Merkel.

«Romantisme et sentimentalisme ridicules»

La formation de gauche avait aussi invité un Français, Jean-Luc Mélenchon. En fin de journée, le patron de La France insoumise a prononcé un discours d'une demi-heure, comme d'habitude très habité – et très applaudi. «Neunzehn Prozent !» «Dix-neuf pour cent !» hurle, ravi, un type près de l'estrade, alors que Mélenchon monte sur scène. Son score à la dernière présidentielle a en effet de quoi faire rêver Die Linke, qui a obtenu 9,2% des voix aux législatives de septembre et n'arrive pas à percer le plafond de verre – d'où l'idée, très controversée au sein du parti, de Sahra Wagenknecht d'en appeler à un «rassemblement des gauches» qui s'ouvrirait même aux déçus du SPD et des Verts, dans une interview accordée à l'hebdomadaire Der Spiegel de ce week-end.

Sur scène, entre deux références aux manifestations en Tunisie et un vibrant hommage au parti hôte – «J'ai beaucoup de fierté à dire que je suis un des résultats de Die Linke. […] J'ai pris des leçons de courage et d'audace pour rompre avec les compromis pourris de la social-démocratie française» –, Mélenchon aborde la question du fameux «couple» franco-allemand. Et, en la matière, on est très loin du «colloque intime» vanté par Emmanuel Macron lors de ses vœux présidentiels. «Je veux vous dire sans détours que nous sommes contre le condominium, la gouvernance à deux, de l'Allemagne et de la France. Ce n'est pas honnête, pour les Italiens, pour les Espagnols, pour les Belges, les Danois, tous ceux qui sont nos frères et nos sœurs à égalité en Europe. Si je vous dis ça, c'est parce que je sais bien comment ça marche cette histoire. D'abord les Allemands et les Français se rencontrent – ce sont des gouvernements de droite, ou bien des gouvernements de droite. Et quand ils rentrent en France, ils disent : "C'est les Allemands qui veulent ça." Et nous sommes empaquetés. On nous dit : "C'est pour l'amitié franco allemande." Et voilà comment avec un romantisme et un sentimentalisme ridicules on nous parle de "couple" franco-allemand, qui doit montrer le bon chemin à tout le reste de l'Europe. Ce n'est pas acceptable.»

«Le macronisme, c’est Merkel et Schulz dans la même personne»

Devant un public gourmand, il a également critiqué le compromis dévoilé vendredi entre la CDU-CSU de Merkel et le SPD de Martin Schulz pour une éventuelle grande coalition. «Regardez le texte de l'accord CDU-SPD. […] Qu'est-ce qu'il dit pour l'environnement ? Est-ce qu'il dit "Nous allons arrêter d'exploiter le lignite à ciel ouvert en Allemagne" ? Nein.» Plus tard, interrogé par une poignée de journalistes français, il évoquera un accord «pouilleux», et développera : «C'est précisément le verrou qu'il faut faire sauter, parce que les accords entre la CDU-CSU et le SPD, ce n'est non seulement pas une alternative au système économique dominant, mais en plus il n'y a même pas d'alternance, ce sont les mêmes en définitive. Dans toute l'Europe la matrice de la grande coalition a eu tendance à se répandre. Et puis là où ils n'y arrivaient pas, il y a eu l'émergence de forces qui étaient elles-mêmes la grande coalition. C'est le cas de Macron. Il a mis en place un système qui est très voisin de la grande coalition, parce que ce n'est pas parce qu'il lui manque trois potiches du PS qu'il n'en a pas déjà pris toute une rangée. […] Le macronisme, c'est Merkel et Schulz dans la même personne. Et l'Allemagne a été la caricature et en même temps le lieu où a été promue une formule politique qui a été une catastrophe pour toute l'Europe.» 

«Vision étriquée»

L'Europe, justement. Nous sommes à une semaine du 55ème anniversaire du traité de l'Elysée, l'un des points de départ de la coopération franco-allemande. Dans son discours de la Sorbonne, en septembre, Emmanuel Macron annonçait pour 2018 un nouveau texte. Fin décembre, deux propositions sont arrivées sur les bureaux des députés français. Ceux de La France insoumise ont refusé de les signer, pour des questions de fond mais aussi de forme – arguant que les textes, qui prônent notamment une coopération franco-allemande plus étroite en matière de politique étrangère, de défense, de développement et de lutte contre le réchauffement climatique, étaient à ratifier très rapidement et non amendables. «En soi, le traité de l'Elysée, cela correspond à une époque et un moment. Mais on ne l'idéalise pas. C'était une très bonne chose dans le contexte de l'époque, à 6. Mais nous sommes 28. On ne peut pas imaginer être deux pour diriger 28, ce n'est plus une union, ça. Au fond, ce n'est pas le traité de l'Elysée qu'on est en train de célébrer, c'est ce machin, le pseudo couple franco-allemand. Les gouvernements allemands de droite décident, les Français approuvent, et les autres n'ont plus qu'à suivre. C'est une vision de l'Europe étriquée.»

Il aura également essayé de trouver une traduction allemande convenable pour le mot «dégagisme». Sans trop de succès. Tous les concepts de Jean-Luc Mélenchon ne sont pas exportables en Allemagne. Sur les débats qui agitent Die Linke actuellement – s'ouvrir ou non aux déçus des autres partis –, il dit, plutôt favorable : «Ils ont des discussions sur comment continuer, parce qu'ils ont l'impression de se sentir limités aux alentours de 10%. Mais Die Linke peut être à l'initiative d'un mouvement de masse. Ce sont des débats qui nous touchent tous dans les pays, comment empêcher le dégagisme d'aller du côté des xénophobes nationalistes. Sur le vieux continent, la situation est très défavorable pour nos forces progressistes, c'est plutôt l'extrême droite qui a la main. Autriche, Pologne, Hongrie… On a l'impression que le mal se répand.»