Stop ou encore ? Ce mardi en début d'après-midi, les eurodéputés décideront en séance plénière à Strasbourg du sort de la pêche électrique dans l'Union européenne. Interdite en 1998 dans les mers communautaires, cette pratique a été autorisée «à titre expérimental» en 2006, uniquement dans le sud de la mer du Nord. Le 10 janvier, 249 eurodéputés, de toutes sensibilités politiques, ont appelé le Parlement européen à interdire définitivement l'usage de la pêche électrique, dont les scientifiques, les pêcheurs et de nombreux pays dénoncent les effets. «A l'heure où les Etats européens ont souscrit aux objectifs de l'UE et de l'ONU visant à mettre en œuvre une pêche durable, la pêche électrique, interdite ailleurs dans le monde, émerge en Europe à contretemps de l'histoire», dénoncent ces parlementaires.
Que recouvre cette pratique ?
La pêche électrique consiste à envoyer, depuis un chalutier à perche, des impulsions électriques dans le sédiment afin d’y capturer des poissons étourdis vivant au fond des mers - tels la sole, le turbot, la barbue et la plie - et qui sont très rémunérateurs. Fin novembre, la commission pêche du Parlement européen s’était prononcée pour un possible élargissement de cette technique interdite, mais qui bénéficie de dérogations depuis 2007. Actuellement, la réglementation européenne permet à chaque Etat membre d’équiper en filets à électrodes jusqu’à 5 % de sa flotte de chalutiers à perche dans le cadre du projet expérimental. Ardents défenseurs de cette technique, les Pays-Bas comptaient, en fin d’année, 84 navires pratiquant la pêche électrique sur 304, soit 28 % de leur flotte.
Si les pêcheurs français et allemands ne pratiquent pas la pêche électrique, et qu'un seul navire belge le fait, les Néerlandais vantent les bienfaits de la technique qui permet, selon eux, d'économiser jusqu'à 45 % de gazole, et avancent qu'il n'y a pas d'études scientifiques fiables sur ses conséquences négatives. Professeur l'université de Rennes, Didier Gascuel affirme, lui, que la pêche électrique «fait courir un risque évident à la ressource exploitée». Certains de ses confrères estiment également que cette pratique, très dangereuse pour l'écosystème, cause des dégâts irréversibles sur les ressources, notamment juvéniles.
Que disent les opposants ?
Aux côtés de plusieurs organisations de pêcheurs et d'ONG, Bloom, association française spécialisée dans la défense des océans et de la pêche durable, met en cause l'«hyper efficacité destructrice» de la pêche électrique et «ses impacts très violents sur la ressource. Les poissons remontés dans les chaluts montrent souvent des brûlures, des ecchymoses et des déformations du squelette consécutives à l'électrocution». Il y a peu, Bloom a exhumé un avis scientifique de l'organe scientifique de la Commission européenne daté de 2006 qui mettait en garde contre «un certain nombre de problèmes qui doivent être résolus avant que toute dérogation puisse être accordée». Début octobre, Bloom a déposé plainte contre les Pays-Bas auprès de la Commission européenne, les accusant d'avoir illégalement autorisé des navires à pratiquer la pêche électrique.
Quels sont les enjeux du vote de ce jour à Strasbourg ?
«Si le même compromis qu'en commission [pêche] est adopté, c'est dramatique», prévient Alain Cadec, président de la commission pêche à Bruxelles. C'est pourquoi l'eurodéputé a déposé un des deux amendements qui seront examinés. Le premier demande l'éradication de la pratique. Celui du parlementaire breton, déposé «compte tenu du risque que l'interdiction totale soit rejetée», est le même que celui proposé en commission pêche en novembre. Il demandait l'interdiction de la pêche électrique comme principe général et limitait la pratique à 5 % de la flotte des Etats membres riverains de la mer du Nord. L'amendement, voté (anonymement) à 13 voix pour et 13 contre, avait été rejeté.
Quelle est la position des eurodéputés français ?
L’eurodéputé écologiste Yannick Jadot, et plus largement toute la délégation française, voteront contre le renouvellement de la dérogation qui autorise la pêche électrique dans la zone sud de la mer du Nord. L’inconnue du vote réside dans la position des députés européens d’Etats membres qui ne sont pas des nations de pêche maritime.
«On ignore si ces votants peuvent se faire influencer par les Néerlandais, qui font un lobbying forcené pour défendre ce qu'ils considèrent être une pêche responsable», déclare Alain Cadec. Lequel souhaite obtenir une majorité sur une interdiction totale. «Mais si ce n'est pas le cas, on aura toujours un plan B via mon amendement.»
Amendement qui fait consensus côté tricolore puisqu’il a été cosigné par les groupes PPE (droite), S&D (socialistes), Alde (libéraux et démocrates) et Verts (écologistes). Il réaffirme l’interdiction de la pêche électrique comme principe général, en attendant un avis scientifique du Conseil international pour l’exploration de la mer.
Quel est le pire scénario ?
Qu’aucun des deux amendements déposés ne passe et que le compromis soit adopté. Dans ce cas, le sujet sera discuté pour négociations entre le Parlement européen, qui sera doté d’un mandat, et le Conseil européen, qui sera présidé par la Bulgarie. La solution médiane, qui est la plus probable, est que l’amendement déposé par Alain Cadec soit voté favorablement. En cas de vote négatif, la conséquence serait que le statu quo persiste pour quatre années supplémentaires. Et qu’à l’issue de cette période, la boîte de Pandore soit ouverte pour une généralisation de la pratique dans l’ensemble des mers communautaires et pour tous les pays de l’UE.