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Libération
Effet Trump

Abbas : des mots durs, mais une résistance «pacifique et populaire» réaffirmée

L'Organisation de libération de la Palestine (OLP) s'est réunie pendant deux jours à Ramallah pour organiser sa riposte à la reconnaissance de Jérusalem comme capitale d'Israël par le président américain. La ligne dévoilée par le «raïs» oscille entre rhétorique véhémente et réaffirmation de l'attachement à la solution à deux Etats.
Mahmoud Abbas, dimanche à Ramallah. (Photo Abbas Momani. AFP)
publié le 16 janvier 2018 à 18h57

C'est un dicton fataliste et indémodable : «Les Israéliens sont désespérants, et les Palestiniens désespérés. Parfois, c'est l'inverse.» L'interminable discours de Mahmoud Abbas, dimanche à Ramallah, suivi du vote en faveur de la suspension de la reconnaissance d'Israël par le conseil central de l'Organisation de libération de la Palestine (OLP), lundi soir, en offre une nouvelle variante. Soit la possibilité d'être à la fois, dans le même élan, désespéré et désespérant. Et ainsi de présenter aux acteurs du conflit un test de Rorschach, où chacun choisit d'y voir confirmées ses certitudes après le coup de massue asséné par Donald Trump en reconnaissant unilatéralement Jérusalem comme capitale d'Israël. «La claque du siècle», selon Abou Mazen – surnom d'Abbas – qui a promis «de gifler en retour» avant de déclarer la mort des accords d'Oslo.

La droite israélienne, mais aussi l'ex-ambassadeur d'Obama à Tel-Aviv, n'ont choisi de retenir que les propos du vieux cacique palestinien questionnant la légitimité de l'existence d'Israël, qualifié de «projet colonial, sans lien avec le judaïsme», manigancé par les puissances européennes pour soumettre les velléités nationalistes arabes. Le «raïs» de 82 ans s'est laissé aller à des apartés conspirationnistes, accusant par exemple l'Etat hébreu de rendre la jeunesse palestinienne toxicomane pour éteindre sa résistance. Le Premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, s'est évidemment saisi avec empressement de ces dérapages : «Abou Mazen a enlevé son masque et montré à tous la simple vérité […] : la racine du conflit entre nous et les Palestiniens réside dans leur refus entêté à reconnaître un Etat juif, quelles que soient les frontières…» Du petit lait pour «Bibi», qui a toujours justifié l'état végétatif du processus de paix par l'absence de «partenaire». Une petite musique instillée, déjà, par l'ex-Premier ministre Ehud Barak après l'échec des négociations de Camp David en 2000.

«Que Dieu détruise ta maison»

Les observateurs plus modérés ont constaté à nouveau les dommages causés par la décision du président américain, avec qui le divorce est plus que consommé côté palestinien. «Que Dieu détruise sa maison», a lancé Abbas, utilisant un juron arabe plus proche de «va te faire foutre» que d'un appel littéral à brûler la Maison Blanche. Le dirigeant palestinien a rappelé avoir joué le jeu jusqu'au bout avec les émissaires de Trump, avant la trahison de Jérusalem et les menaces tweetées par ce dernier de couper les vivres à l'Autorité palestinienne, ainsi qu'à l'agence onusienne pour les réfugiés palestiniens, l'UNRWA (1), sous prétexte que le locataire de la Mouqata'a ne voudrait plus négocier. Abbas a par ailleurs confirmé que les Américains avaient bien envisagé Abu Dis, municipalité palestinienne dans la banlieue de Jérusalem, comme capitale d'un futur Etat palestinien.

Les éternels optimistes ont eux noté que le pragmatisme pacifique d'Abbas, sa marque de fabrique, n'avait pas disparu, malgré la violence des formules. A plusieurs reprises, Abou Mazen a rappelé qu'il n'avait «pas honte» d'affirmer que la résistance «pacifique et populaire» était le seul, et le plus efficace moyen de combattre l'occupation israélienne dans les Territoires. Une posture de colombe qui contraste avec l'autoritarisme du raïs – dont 70% des Palestiniens souhaitent le départ – envers sa dissidence interne.

Alors que la rue et la jeune génération d’activistes palestiniens revendiquent de plus en plus ouvertement que la lutte s’oriente vers la quête d’un seul Etat binational – qui sonnerait, pour les Israéliens, la fin du sionisme originel – Abbas s’est redit attaché à la solution à deux Etats, dans les frontières de 1967, avec Jérusalem-Est comme capitale de l’Etat palestinien. Plusieurs analystes s’attendaient à un revirement sur ce point. En septembre, avant le coup de tonnerre trumpiste, Abbas avait déjà menacé de réorienter son combat vers la «solution à un Etat», en désespoir de cause. Il ne l’a pas fait dimanche, proposant de poursuivre les négociations au sein d’un groupe de discussion étendu, à l’instar de la formule «P5+1» qui a abouti à l’accord autour du nucléaire iranien.

Pierre angulaire

Tous les points soulevés par le successeur de Yasser Arafat ont été confirmés par le vote de l’OLP, à une écrasante majorité. Le raïs, qui inaugure la quatorzième année de son mandat de quatre ans, a renouvelé sa volonté de réconciliation nationale avec le Hamas, grand absent de cette réunion, et qui conteste la légitimité d’Abbas. Un signe encourageant récent : l’Autorité palestinienne a accepté d’à nouveau régler la facture d’électricité de la bande de Gaza, contrôlé par le mouvement islamiste, auprès des Israéliens.

Le conseil central de l’OLP justifie la suspension de la reconnaissance d’Israël par l’absence de réciproque côté israélien, et exige de l’Etat hébreu la reconnaissance d’un Etat palestinien dans ses frontières de 1967, ainsi que l’annulation de l’annexion de Jérusalem-Est et la fin de la colonisation. Concrètement, cette résolution, qui annihilerait la pierre angulaire du processus de paix, doit encore être entérinée par le conseil exécutif de l’OLP, présidé par Abbas, et rien ne dit qu’elle le soit. En 2015, un vote similaire du conseil central appelant à la fin de la coordination sécuritaire entre l’Autorité palestinienne et Israël n’avait pas été suivi d’effet.

Baroud d’honneur d’Abbas, plus isolé et contesté que jamais, propos d’estrade sans effets concrets ou épitaphe de la solution à deux états – ce qui s’est joué ces deux derniers jours à Ramallah n’est pas encore acté. Reste que derrière un propos aussi tortueux que véhément sur la forme, Abbas a une dernière fois prêché en faveur de paix sur le fond.

(1) Dans la soirée de mardi, Washington a annoncé le versement de moins de la moitié de sa contribution attendue, soit 60 millions de dollars, les 65 millions restant étant «suspendus» jusqu'à une «révision en profondeur du financement et du fonctionnement» de l'agence.