Près d'un mois après des législatives emportées de façon surprenante par les séparatistes catalans, le 21 décembre, la question est plus que jamais cruciale : les sécessionnistes, qui avaient organisé un référendum d'autodétermination interdit le 1er octobre - et provoqué l'ire et la répression de Madrid -, vont-ils pouvoir gouverner cette région turbulente et continuer à mettre en péril l'unité nationale ? Alors qu'est donné ce mercredi le coup d'envoi à la constitution du Parlement de Barcelone, la plus grande incertitude est de mise. Au point que beaucoup parlent d'un triomphe inutile, ou tout au moins inopérant.
Le 21 décembre, même si l'«espagnoliste» Inés Arrimadas a emporté le scrutin, les trois formations séparatistes ont obtenu 70 des 135 députés régionaux. Ce qui, logiquement, leur délie les mains pour mettre fin à la mise sous tutelle imposée par le gouvernement Rajoy sur la Catalogne (une mesure prise en octobre, pour la première fois en quatre décennies de démocratie) et reprendre le contrôle de la région. «Ce serait l'issue la plus logique, souligne l'analyste Enrique Gil Calvo. Malgré les convulsions vécues cet automne en Catalogne, qui ont fait vaciller l'Espagne et ont plongé le pays dans une crise institutionnelle sans précédent, les partisans de l'indépendance ont montré leur fière résistance au diktat de Madrid. A eux aujourd'hui de reprendre les rênes.» «En soi, la situation demeure explosive, éditorialise le quotidien conservateur ABC. Car, politiquement, les sécessionnistes ne peuvent pas renoncer à leurs exigences vis-à-vis de leurs électeurs. Le pouvoir central, de son côté, ne peut envisager l'idée même d'un nouveau référendum. Pour l'heure, il n'y a pas l'ombre d'une possibilité de dialogue.»
«Pleine fidélité»
Même si l'arithmétique parlementaire est favorable aux trois formations indépendantistes, ces dernières sont confrontées à des obstacles difficilement surmontables. Le plus important tient à l'«affaire Puigdemont», un véritable vaudeville politique aux accents tragi-comiques. Depuis fin octobre, à la surprise générale, le chef du gouvernement régional sécessionniste, Carles Puigdemont, se trouve en exil volontaire à Bruxelles : cette fuite lui a permis d'échapper à la justice espagnole (qui l'accuse de «sédition» et «rébellion»), à la différence de son ancien numéro 2 et rival, Oriol Junqueras, incarcéré pour les mêmes motifs près de Madrid. Or le leader séparatiste a insisté mardi pour être de nouveau intronisé chef de l'exécutif régional. Depuis la Belgique, il a prêté serment sur la Constitution espagnole - une obligation légale pour conserver son siège de député -, tout en promettant à ses troupes «une pleine fidélité à la volonté du peuple catalan». Autrement dit, il ne renonce pas à la séparation.
Bien décidé à diriger le futur gouvernement, Puigdemont n'entend toutefois pas quitter la Belgique avant d'avoir reçu la garantie de ne pas être incarcéré dès qu'il foulerait le sol espagnol. L'ennui, pour lui, est que le règlement parlementaire n'autorise pas l'investiture d'un dirigeant qui ne serait pas présent physiquement. Lundi, les fonctionnaires du Parlement de Barcelone l'ont confirmé. Rajoy ne s'est pas privé de railler l'hypothèse d'un «président par Skype». Avant d'assurer qu'en cas d'une gouvernance de la Catalogne «à distance», il saisirait le tribunal constitutionnel et maintiendrait en vigueur l'article 155 de la Constitution qui, dans la pratique, permet à la région d'être «pilotée» et gérée depuis Madrid. «Puigdemont projette une image glorieuse d'un Ulysse messianique ne demandant qu'à revenir dans sa patrie, analyse la chroniqueuse Soledad Gallego-Díaz. Mais il devra accepter la dure réalité.» Mardi soir, les deux principaux partis indépendantistes Juntos por Cataluña et Izquierda Republicana de Cataluña ont pourtant annoncé avoir trouvé un accord pour investir Carles Puigdemont…
Le casse-tête du camp indépendantiste ne s’arrête pas là. Ses divisions, dissimulées au cours de l’automne lorsqu’il s’agissait de déclarer (symboliquement) «la République de Catalogne», sont désormais patentes. Junqueras aurait bien aimé succéder à Puigdemont… sans savoir quand il sera libéré.
Sans compter la troisième formation de cette bancale coalition
«Or les sécessionnistes ne peuvent plus se permettre un tel jusqu’au-boutisme»,
«Fuite en avant»
Autre obstacle de taille : l'image des séparatistes a été fortement écornée, lundi, alors qu'un tribunal barcelonais a entériné les accusations de corruption contre Convergencia - la formation ayant donné naissance à celle de Puigdemont - et l'a obligée à verser 6,6 millions d'euros au titre de «commissions illégales versées en échange de l'obtention de marchés publics». «Ce qui aujourd'hui paraît évident, assure l'analyste Xavier Vidal-Folch, c'est que cette corruption considérable est liée au processus séparatiste des dernières années : dans le but d'éviter les mailles judiciaires, les nationalistes catalans se sont lancés dans une fuite en avant séparatiste, en désignant l'Espagne comme le bouc émissaire.» Affaiblie, cette «fuite en avant» demeure toutefois une grande menace pour Rajoy.