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Environnement

Au Québec, les projets gaziers se rapprochent des maisons

Le gouvernement du Québec ouvre la voie à la fracturation hydraulique. Des forages seraient possibles à moins de 200 mètres des habitations. Écologistes, syndicats et municipalités se mobilisent contre.
Extraction de sables bitumineux dans la province canadienne de l'Alberta, en septembre 2014. (Photo Todd Korol. Reuters)
publié le 18 janvier 2018 à 16h35
(mis à jour le 19 janvier 2018 à 15h03)

«Nous sommes prêts à mener une longue bataille. La fracturation hydraulique ne verra pas le jour au Québec», prévient Patrick Bonin, de Greenpeace Canada. Ces dernières semaines, les rencontres entre groupes en­vironnementaux et citoyens de la province canadienne se multiplient. Objectif : organiser la lutte. Et l'intensifier.

En septembre 2017, le gouvernement québécois de Philippe Couillard a publié des projets de réglementations ouvrant la porte à la fracturation hydraulique. Désormais, les forages pétroliers et gaziers pourraient être autorisés dans les lacs et rivières, mais aussi à proximité des zones protégées et des habitations.

Les distances de sécurité prévues, 175 mètres pour les zones d'habitation, 275 mètres pour les écoles, garderies et hôpitaux, inquiètent. «C'est totalement insuffisant», s'alarme Christian Simard, directeur général de l'association Nature Québec. Partis d'opposition, écologistes, syndicats et municipalités dénoncent avec virulence cette nouvelle réglementation que Patrick Bonin estime «taillée sur mesure pour les compagnies pétrolières et gazières». Une pétition, lancée en septembre par un collectif d'organisations de protection de l'environnement, a recueilli plus de 32 000 signatures.

4% du Québec couvert par des permis d’exploration

Concrètement, depuis la fin des années 90, la province du Québec a concédé à une vingtaine d'entreprises pétrolières canadiennes près de 300 permis d'exploration pour un peu plus de 10 cents canadiens (6,5 centimes d'euros) l'hectare. Ces droits couvrent une surface de plus de 53 000 km2, principalement dans la vallée du Saint-Laurent, qui concentre l'essentiel du potentiel en gaz de schiste, et en Gaspésie. A partir des données du gouvernement, le quotidien québécois Le Devoir a réalisé une carte représentant tous les permis accordés.

La Gaspésie, connue pour ses parcs nationaux et sa très riche biodiversité, attire tous les regards en raison de son potentiel pétrolier. La compagnie Pétrolia, dont le Québec est le premier actionnaire, a investi en 2016 près de 8 millions d'euros dans un projet de forage qui nécessiterait de la fracturation hydraulique. Elle lorgne également une zone située à 350 mètres d'un secteur résidentiel de la ville de Gaspé. Ce projet, jusqu'alors bloqué par le maire, pourrait voir le jour avec l'adoption de la nouvelle réglementation. «Il n'y a aucune acceptabilité sociale. Ces forages et leurs impacts sur l'environnement doivent être réévalués», exige le député Sylvain Gaudreault du parti Québécois (premier parti d'opposition).

«La prochaine étape, c’est la désobéissance civile»

Le gouvernement de Philippe Couillard n'en est pas à son coup d'essai. Il y a un an, il passait en force la première loi sur les hydrocarbures de l'histoire du Québec. L'industrie était sur les dents, toute fracturation étant interdite de fait depuis 2011 dans la vallée du Saint-Laurent dans l'attente d'un texte pour encadrer l'activité. Désormais, «la donne change, les compagnies pétrolières et gazières sont sur le pied de guerre, prêtes à forer. Il y a une épidémie de projets», s'inquiète Anne-Céline Guyon, coordonnatrice du Front commun pour la transition énergétique. Cette militante de la première heure met en garde : «La prochaine étape, c'est l'opposition physique, la désobéissance civile.» La crainte gagne aussi les agriculteurs. En décembre, l'Union des producteurs agricoles québécois a demandé l'annulation de tous les permis d'exploration accordés sur les terres agricoles, craignant des expropriations. Dans la vallée du Saint-Laurent, la plupart des exploitants ne savent pas que leurs terrains sont assujettis à des permis. Denis Paquet, producteur laitier dans la région, est lui sur le qui-vive. «Si ces règlements passent, je ne suis plus maître sur mes terres», explique-t-il à Libération. Dans sa ferme, c'est la compagnie Questerre, venue d'Alberta, qui convoite le sous-sol et son gaz de schiste. Pour l'agriculteur, le risque est limpide : «la contamination de l'eau», par les produits chimiques injectés dans la terre. Les dégâts provoqués par la technique de fracturation aux Etats-Unis sont largement médiatisés et nourrissent la mobilisation.

Des retouches mais pas de retrait

Face une telle controverse, le gouvernement tempère. Pierre Moreau, ministre de l'Energie et des Ressources naturelles, a promis qu'aucun projet d'énergie fossile ne pourra voir le jour s'il ne bénéficie pas de l'«acceptabilité sociale» nécessaire. Il s'est dit ouvert à «resserrer» les dispositions, mais ne compte pas retirer purement et simplement les projets de réglementations comme le réclament les opposants.

Pour Pierre-Olivier Pineau, titulaire de la chaire de gestion du secteur de l'énergie à HEC Montréal, le gouvernement fait un choix économique très clair : «Réduire la dépendance du Québec aux importations de pétrole, faire fonctionner à plein régime les deux raffineries québécoises en sous-production et favoriser le développement de régions défavorisées comme la Gaspésie.» Ces arguments ne convainquent pas les mouvements écologistes, qui mettent en doute les stocks réels présents dans le sous-sol de la province. «Les sociétés spéculent, gonflent les réserves pour faire grimper leurs actions en bourse», assure la militante Anne-Céline Guyon. Plusieurs ministres ont reconnu que le potentiel pétrolier québécois est très faible.

Faire de la fracturation un enjeu électoral

En réalité, le gouvernement mise sur l'exploitation du gaz naturel pour atteindre ses objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre, fixés pour 2030 à -37,5% par rapport à 1990. «C'est absurde de fonder une politique de transition énergétique sur un gaz, soi-disant propre, issu de la fracturation hydraulique», dénonce Christian Simard de Nature Québec.

Les Québécois sont dans l'attente. La version définitive des réglementations devrait être publiée dans les mois à venir. Avec les prochaines élections législatives organisées à l'automne, les opposants ont bon espoir de faire plier le gouvernement. «Nous allons faire de cette question un enjeu électoral», promet Christian Simard. Une volonté partagée par l'ensemble des associations environnementales qui veulent rester confiantes. L'année 2017 a été marquée par deux défaites majeures pour l'industrie pétrolière québécoise avec l'annulation de la construction du pipeline Energie Est et l'abandon du projet pétrolier sur l'île d'Anticosti dans le golfe du Saint-Laurent.