Inostranny aguent - «agent de l'étranger». L'expression, qui sent la naphtaline et la paranoïa soviétique, a retrouvé une nouvelle vitalité dans la Russie de Vladimir Poutine. La Douma (Parlement), qui n'est jamais à court d'idées liberticides, a adopté la semaine dernière en première lecture une loi permettant de désigner des personnes physiques comme «média agents de l'étranger». Dans l'histoire russe, le terme est pour le moins connoté. Sous Staline, des milliers d'étrangers ayant atterri en URSS (membres du Komintern, communistes étrangers, prisonniers de guerre japonais, Polonais et Baltes des zones occupées à l'issue du pacte germano-soviétique), mais aussi des citoyens soviétiques qui avaient des liens, le plus souvent fantasmés, avec des ressortissants étrangers ont été exécutés ou envoyés au goulag.
Le label stigmatisant a été dépoussiéré en 2012, quand les législateurs ont décidé d’empoisonner un peu plus la vie des ONG en Russie, dont les principales, et surtout celles qui défendaient les droits de l’homme et luttaient contre la corruption des autorités, dépendaient largement de subventions internationales. Soit accusées par le Kremlin d’être financées par l’«ennemi extérieur», essentiellement américain, pour saper de l’intérieur les fondements de l’Etat russe. Les organisations placées sur la liste sont tenues, entre autres, de marquer toute leur production de la mention «agent de l’étranger». Elles ont toutes préféré renoncer aux euros et dollars, plutôt que de s’auto-accuser, ce qui revenait, souvent, à déposer le bilan.
En novembre, les autorités russes ont étendu le texte aux médias, mesure de rétorsion après que Washington a classé la chaîne RT «foreign agent». En vertu du nouvel amendement pourront être désignées «média-agent de l'étranger» les personnes physiques qui diffusent des messages et matériaux écrits, audio et vidéo, à un cercle indéfini, tout en recevant de l'argent de sources étrangères ou internationales (Etats, organisations, particuliers). Soit n'importe quel Russe qui écrit sur les réseaux sociaux ou travaille pour un média étranger. Comme il se doit, la loi dans sa première mouture ne précise pas le type d'info ou de support concernés, ni les obligations qui incomberont aux «agents». Tout cela restera à la discrétion du ministère de la Justice.
Souvent, l’adoption de lois restrictives contre la société civile est un indicateur du degré de frustration et d’angoisse des autorités russes. En l’occurrence, face à la consolidation de ce champ de liberté incontrôlable qu’est devenu Internet. Dans le champ brûlé qu’est l’espace médiatique traditionnel russe, les blogueurs et autres journalistes indépendants, des médias à eux tous seuls, touchent un public presque aussi large que les chaînes de propagande via YouTube, Telegram, Twitter et autres réseaux sociaux.