«La pire crise humanitaire du monde.» C'est ainsi que l'ONU et l'Organisation mondiale de la santé (OMS) qualifiaient l'an passé la situation du Yémen. Cela ne s'est malheureusement pas arrangé. Depuis mars 2015, une coalition militaire dirigée par l'Arabie Saoudite, qui soutient les forces gouvernementales, s'oppose aux groupes armés des rebelles houthis, issus de la minorité zaydite, musulmans chiites soutenus par l'Iran. Ces derniers contrôlent la majorité du pays, dont la capitale, Saana, depuis septembre 2014 – le gouvernement s'est retiré à Aden, grande ville du sud du pays. En bientôt trois ans, le conflit a fait près de 9 000 morts et 50 600 blessés, dont de nombreux civils. En outre, en raison du blocus récurrent des ports imposés par la coalition en raison de soupçons de transferts d'armements iraniens vers les Houthis, les restrictions d'importations alimentaires sont légion. Le Yémen importe plus de 85% de la nourriture et des médicaments dont il a besoin.
Un rapport du Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies (Ocha) indique que 22,2 millions de Yéménites (76% de la population) soit 1,5 million de plus lors des six derniers mois, ont besoin d'aide alimentaire. En 2017, 17 millions de Yéménites (les deux tiers de la population globale), étaient considérés comme souffrant de malnutrition. Parmi eux, ce ne sont pas moins de 6,8 millions qui nécessitaient une «aide alimentaire immédiate, adaptée et soutenue».
Caroline Seguin est responsable des opérations de Médecins sans frontières au Yémen. Elle témoigne pour Libération sur les difficultés alimentaires et sanitaires que connaît le voisin de l'Arabie Saoudite.
Le conflit entre le gouvernement et les rebelles gagne en intensité, affectant toujours plus la population sur le plan alimentaire…
Depuis plus d’un mois, du fait d’un embargo, le port de Hodeidah tourne vraiment au ralenti. Il est donc de plus en plus compliqué de pouvoir acheminer de l’aide au Yémen. Tous les échanges commerciaux qui passaient par ce port sont aujourd’hui quasi inexistants. Les prix des denrées alimentaires se sont évidemment envolés alors que la population vit depuis trois ans dans une situation de guerre et avec une économie affectée. Comme il y a peu d’aliments qui rentrent, la population ne peut se les payer. Et c’est de pire en pire. Si ça continue, on parlera bientôt de famine au Yémen.
Sur le plan sanitaire, la situation est-elle tout aussi catastrophique ?
Avant la guerre, la situation était déjà mauvaise. C’est encore plus compliqué aujourd’hui. Accéder à un hôpital et se payer un taxi pour s’y rendre n’est pas simple pour beaucoup de Yéménites. On constate une recrudescence d’épidémies. Et cette année, le choléra atteint une ampleur inédite. C’est très nouveau pour le Yémen. Depuis quelque temps, on a des cas de diphtérie sur l’ensemble du pays. Il y a aussi des pics de malaria. Sans compter, évidemment, la malnutrition. Aujourd’hui, il est difficile de chiffrer les cas et d’évaluer des taux de mortalité globale comparée à la situation avant la guerre, car on ne nous laisse pas faire des études en population qui soient précisément documentées.
Comment Médecins sans frontières intervient sur place ?
Ça fait partie de nos plus grosses missions, alors qu’il est très compliqué d’intervenir dans le pays. Nous devons travailler avec deux gouvernements, celui qui est légitime et l’autre non reconnu. Chacun ayant leurs processus de visas, d’importation… Tout est compliqué pour dépasser les procédures administratives. Au-delà, il y a l’aspect sécuritaire car nous sommes dans des zones dangereuses, soit au nord en raison des bombardements de la coalition, soit aux régions contrôlées par les groupes jihadistes.
Quelle est l’urgence absolue ?
Il faut répondre aux épidémies et faire en sorte que la population puisse accéder à des soins, d’autant plus qu’il y a très peu d’hôpitaux en ordre de marche. Il est de plus en plus difficile d’avoir des médicaments et d’avoir les fonds nécessaires pour faire tourner un hôpital. L’autre urgence est de pouvoir acheminer des aliments.
Comment la communauté internationale peut-elle intervenir dans cette situation ?
Son intervention serait compliquée, car elle ne reconnaît pas les Houthis qui contrôlent les trois quarts du territoire. Résultat, personne ne négocie avec eux, du moins de façon officielle. Aucune délégation ne s’est rendue au Nord Yémen depuis le début du conflit. Pour l’instant, on ne voit aucune voie de sortie. Et sur le plan humanitaire tout est de plus en plus compliqué. Les bombardements continuent et sont très intenses dans certaines zones. Si la communauté internationale ne parle pas aux deux parties en conflit, je ne vois pas comment les choses pourraient avancer.