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Libération
Cheval de Troie

La nouvelle gare de Hongkong, enclave juridique chinoise

Dans un territoire encore secoué par une affaire de rapt commis par la police chinoise, la perspective de voir la future gare de West Kowloon devenir une tête de pont de Pékin inquiète encore plus.
Le chantier de la future gare de West Kowloon, à Hongkong, en juillet. (Photo Bobby Yip. Reuters)
publié le 23 janvier 2018 à 15h56

L'affaire des «libraires de Causeway Bay» avait choqué Hongkong. Un nouveau rebondissement sème aujourd'hui l'émoi. L'un des cinq libraires de Hongkong mystérieusement volatilisés à l'automne 2015, puis réapparu des mois plus tard en Chine, a de nouveau disparu. Gui Minhai, citoyen suédois, a été enlevé samedi dans un train en direction de Pékin par dix policiers en civil, et ce sous les yeux des diplomates suédois qui l'accompagnaient. Depuis, aucun contact n'a pu être établi avec lui, aucune assistance légale n'a pu être fournie, selon ses proches.

Initialement basé à Hongkong, Gui Minhai vivait en Chine continentale depuis sa sortie en octobre des geôles chinoises où il purgeait une peine pour une sordide histoire d'accident de la route. Pour l'association littéraire PEN Hongkong, qui exprimait mardi son «inquiétude la plus extrême», cette disparition, en plus de constituer une entrave criante à la liberté de circuler, s'apparente à une «tentative pour réduire au silence» ce libraire, ses collègues et la maison d'édition, friande des dessous de l'élite politique chinoise, pour laquelle ils travaillaient.

Cet incident trouve un écho tout particulier à Hongkong. Longtemps l’ancienne colonie britannique s’est pensée protégée par sa frontière et son statut de région administrative spéciale de la Chine. Jusqu’aux révélations d’un des libraires de Causeway Bay sur les conditions de son arrestation musclée, à Hongkong, par la police chinoise. L’incident de samedi ne va pas manquer de raviver les inquiétudes, d’autant plus que Hongkong s’apprête à inaugurer à l’automne un terminal ferroviaire transfrontalier avec la Chine.

Location

Déjà, la polémique sur une nouvelle ingérence présumée de Pékin était aussi retentissante que les marteaux-piqueurs et les pelleteuses bourdonnants sur le chantier en cours de West Kowloon. Pour beaucoup, la future liaison à grande vitesse qui placera Hongkong à 45 minutes de Canton n’est que le cheval de Troie de Pékin. Pourtant située en plein cœur de Hongkong, à l’entrée de l’emblématique baie de Victoria Harbor, une partie de la gare sera en effet «louée» par Pékin et considérée comme un territoire où la loi de Chine continentale s’appliquera.

Le Parlement chinois en a décidé ainsi fin décembre. Et la transcription en règlement local devrait être formalisée dans les prochains mois. Afin de fluidifier le trafic, policiers, douaniers et agents de sécurité chinois, jusque-là cantonnés de l'autre côté de la frontière séparant la Chine de Hongkong, devraient donc être déployés sur les quais et dans l'enceinte de la gare. Ils y assureront les formalités d'immigration et «devront prendre les mesures légales appropriées si quiconque contrevient à la loi chinoise».

Ce qui fait dire à la députée d'opposition démocrate Tanya Chan que dès lors que quelqu'un pénètrera dans ce périmètre d'environ 105 000 m2, soit l'équivalent de 15 terrains de foot, «il ne devra pas s'attendre à être traité différemment de s'il était en Chine, quand bien même il est géographiquement à Hongkong». Pourra-t-il dans la gare surfer librement sur internet comme à l'extérieur ? Devra-t-il dissimuler telle inscription sur son tee-shirt qui serait illégale en Chine ? Potentiellement, tout sera désormais passé au crible des caméras et agents chinois, passés maîtres dans l'art de l'hyperflicage.

Rétrograde

Des arrestations comme celle de Gui Minhai ou des rétentions administratives sont une possibilité réelle, redoute Tanya Chan. Même l'Association du barreau de Hongkong a donné de la voix contre cette «mesure sans précédent et la plus rétrograde depuis l'application de la Basic Law» – la mini-constitution de Hongkong en vigueur depuis la rétrocession en 1997 – et «dont l'intégrité a désormais été irréparablement bafouée».

Selon cette loi fondamentale, les lois chinoises ne s'appliquent pas à Hongkong, sauf à de rares exceptions. Même les 8 000 soldats de l'Armée populaire de Chine postés dans plusieurs casernes à Hongkong doivent respecter cette Basic Law. La volonté de Pékin d'imposer sa loi sur le territoire hongkongais «sape profondément la confiance locale et internationale dans le maintien de l'Etat de droit et du principe "un pays, deux systèmes"» qui assure entre autres à Hongkong son statut de place financière internationale, met en garde l'Association du barreau.

C'est une série de violations de la Loi fondamentale et une «castration de la justice hongkongaise», renchérit Eric Cheung. Ce maître de conférences à la faculté de droit de l'Université de Hongkong dit «craindre qu'au final Pékin n'exerce sa toute-puissance afin d'affirmer son autorité sans contrainte sur Hongkong». «A l'avenir, même si des législations contredisent les provisions de la Loi fondamentale, nos tribunaux n'auront pas le pouvoir de les censurer à partir du moment où le Comité permanent de l'Assemblée nationale populaire (qui a l'autorité constitutionnelle en Chine), aura jugé qu'elles sont conformes à la Loi fondamentale», explique Eric Cheung. West Kowloon pourrait donc faire jurisprudence et ouvrir la voie pour les nombreux projets à venir d'intégration économique, et physique, de Hongkong à la Chine continentale.