Menu
Libération
Récit

Le nationalisme turc étouffe l’opposition

Pas moins de 90 personnes ont été arrêtées depuis le lancement de l’opération militaire : Erdogan profite du soutien populaire pour museler toute critique.
publié le 23 janvier 2018 à 20h16

Au cinquième jour de l’opération «Rameau d’olivier», alors que les forces turques appuyées par les rebelles syriens poursuivent leur avancée contre l’enclave kurde d’Afrin, en Syrie, loin du front, il ne fait pas bon critiquer ce nouvel engagement militaire d’Ankara. Dans un pays où le sentiment nationaliste prédomine plus que jamais et où l’armée est une institution de poids, le pouvoir semble déterminé à ce qu’aucune voix discordante ne vienne saper l’élan patriotique.

Depuis ce week-end, plus de 90 de personnes ont déjà été arrêtées par la police à travers le pays, soupçonnées de faire de la «propagande», via les réseaux sociaux, pour les combattants kurdes des YPG (milices armées du PYD, le Parti de l'union démocratique, accusées par Ankara d'être liées à la guérilla du Parti des travailleurs du Kurdistan, le PKK), qui contrôlent actuellement Afrin.

Unanimité

Parmi les interpellés, entre autres, des journalistes, des activistes de l'Association des droits de l'homme (IHD) qui avait dénoncé l'opération, mais également plusieurs membres du Parti démocratique des peuples, le HDP. La formation d'opposition (gauche, prokurde) avait organisé des manifestations contre l'opération militaire à Istanbul et Diyarbakir, provoquant la colère du chef de l'Etat, Recep Tayyip Erdogan. Le président turc, qui accuse le HDP d'être la vitrine politique du PKK, a alors promis à ceux qui descendraient dans la rue qu'ils paieraient «un prix lourd». Dans la foulée, les manifestations ont été interdites ou violemment dispersées.

Hormis le HDP, dans les rangs du Parlement de Turquie, «Rameau d'olivier» fait l'unanimité. Et ce même du côté des autres formations d'opposition. L'ancienne ministre de l'Intérieur et rivale directe d'Erdogan pour la présidentielle de 2019 Meral Aksener n'a pas failli à sa ligne nationaliste dure et a ainsi envoyé, sur Twitter, ses prières pour la «glorieuse armée» et les «soldats héroïques» de Turquie. Kemal Kiliçdaroglu, leader de la première force d'opposition, le CHP - un parti social-démocrate traversé par un important courant nationaliste -, a lui aussi apporté son «soutien entier à l'opération». Conseillant même au président Erdogan de ne pas lésiner sur l'emploi des forces aériennes au cours de l'opération. Ce que n'a d'ailleurs pas manqué de souligner Aydin Engin, éditorialiste au quotidien d'opposition Cumhuriyet (proche idéologiquement du CHP), dans l'un des rares articles critiques de l'opération au sein des médias turcs. «Cela sied-il à un social-démocrate de verser dans l'idéologie militariste et d'insister sur le soutien aérien, sans opposition quelconque à la guerre ?» s'interroge-t-il. Et de dénoncer également le jeu du «Reis» («chef») Erdogan, «prêt à jeter tout et tout le monde» dans sa quête de pouvoir.

«Héroïsme»

Tout aussi inquiet, l'éditorialiste Levent Gültekin dénonce, dans une longue chronique pour le site d'information Diken, les contradictions et les ratés de la politique turque en Syrie. Une prise de position qui n'est pas sans risque dans l'actuelle Turquie, précise-t-il en introduction, résigné. Et de conclure : «Le problème n'est pas seulement de se faire lyncher. Le problème, c'est que dire de telles choses, dans un environnement qui s'est plié à l'héroïsme de la majorité politique, ne sert à rien, car personne n'est en état d'écouter une idée contradictoire».