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Libération

Un cheval de Troie chinois s’apprête à entrer en gare de Hongkong

Dans un territoire encore ému par le rapt de libraires critiques envers la Chine, la décision d’appliquer les lois de Pékin dans la future gare fait craindre pour le principe «un pays, deux systèmes».
Un Hongkongais regarde le chantier de la future gare de West Kowloon, en décembre. (Photo Anthony Wallace. AFP)
publié le 23 janvier 2018 à 20h56

L’affaire des «libraires de Causeway Bay» avait choqué Hongkong. Un nouveau rebondissement sème aujourd’hui l’émoi. L’un des cinq libraires volatilisés dans l’ex-colonie à l’automne 2015, qui avait réapparu des mois plus tard en Chine, a de nouveau disparu. Gui Minhai, citoyen suédois, a été enlevé samedi dans un train pour Pékin par dix policiers en civil, sous les yeux des diplomates suédois qui l’accompagnaient. Depuis, aucun contact n’a pu être établi, aucune assistance légale n’a pu être fournie, selon ses proches.

Initialement basé à Hongkong, Gui Minhai vivait en Chine continentale depuis sa sortie, en octobre, des geôles chinoises où il purgeait une peine pour une histoire d'accident de la route. Pour l'association littéraire PEN Hongkong, cette disparition s'apparente à une «tentative pour réduire au silence» ce libraire, ses collègues et leur maison d'édition, friande des dessous de l'élite politique chinoise.

Cet incident trouve un écho tout particulier à Hongkong. Longtemps, l’ancienne colonie britannique s’est pensée protégée par sa frontière et son statut de région administrative spéciale de la Chine. Jusqu’aux révélations d’un des libraires de Causeway Bay sur les conditions de son arrestation musclée, à Hongkong, par la police chinoise. L’incident de samedi devrait raviver les inquiétudes, alors que Hongkong s’apprête à inaugurer à l’automne un terminal ferroviaire transfrontalier avec la Chine.

Crible. Déjà, la polémique sur une nouvelle ingérence présumée de Pékin était aussi retentissante que les marteaux-piqueurs et les pelleteuses du chantier en cours de West Kowloon. Pour beaucoup, la future liaison à grande vitesse qui placera Hongkong à quarante-cinq minutes de Canton n'est que le cheval de Troie de Pékin. Pourtant située en plein cœur de Hongkong, à l'entrée de l'emblématique baie Victoria, une partie de la gare sera en effet «louée» par Pékin et considérée comme un territoire où la loi de Chine continentale s'appliquera.

Le Parlement chinois en a décidé ainsi fin décembre. Afin de fluidifier le trafic, policiers, douaniers et agents de sécurité chinois, jusque-là cantonnés de l'autre côté de la frontière séparant la Chine de Hongkong, devraient être déployés sur les quais et dans l'enceinte de la gare. Ils y assureront les formalités d'immigration et «devront prendre les mesures légales appropriées si quiconque contrevient à la loi chinoise».

Ce qui fait dire à la députée d'opposition démocrate Tanya Chan que dès lors que quelqu'un pénétrera dans ce périmètre d'environ 105 000 m2, soit l'équivalent de 15 terrains de foot, «il ne devra pas s'attendre à être traité différemment de s'il était en Chine, quand bien même il est géographiquement à Hongkong». Pourra-t-il dans la gare surfer librement sur Internet comme à l'extérieur ? Devra-t-il dissimuler telle inscription sur son tee-shirt qui serait illégale en Chine ? Potentiellement, tout sera désormais passé au crible des caméras et agents chinois, devenus maîtres dans l'art de l'hyperflicage. Des arrestations comme celle de Gui Minhai ou des rétentions administratives sont une possibilité réelle, redoute Tanya Chan. L'Association du barreau de Hongkong a fustigé cette «mesure sans précédent, la plus rétrograde depuis l'application de la Basic Law», la mini-constitution de Hongkong en vigueur depuis la rétrocession en 1997, «dont l'intégrité a désormais été irréparablement bafouée».

Soldats. Selon cette Loi fondamentale, le droit chinois ne s'applique pas à Hongkong, sauf à de rares exceptions. Même les 8 000 soldats de l'Armée populaire de Chine qui y sont postés doivent respecter cette Basic Law. La volonté de Pékin d'imposer sa loi sur le territoire hongkongais «sape profondément la confiance locale et internationale dans le maintien de l'Etat de droit et du principe "un pays, deux systèmes"» qui assure entre autres à l'ex-colonie son statut de place financière internationale, met en garde l'Association du barreau.

C'est une série de violations de la Loi fondamentale et une «castration de la justice hongkongaise», renchérit Eric Cheung. Ce professeur de droit à l'université dit «craindre que finalement Pékin n'exerce sa toute-puissance afin d'affirmer son autorité sans contrainte sur Hongkong». «A l'avenir, même si des législations contredisent les provisions de la Loi fondamentale, nos tribunaux n'auront pas le pouvoir de les censurer à partir du moment où le Comité permanent de l'Assemblée nationale populaire [qui a l'autorité constitutionnelle en Chine, ndlr] aura jugé qu'elles sont conformes à la Loi fondamentale», explique-t-il. West Kowloon pourrait donc faire jurisprudence et ouvrir la voie aux nombreux projets à venir d'intégration économique, et physique, de Hongkong à la Chine continentale.