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Au Royaume-Uni du Brexit, l’espace rétrécit-il ?

La perspective du Brexit inquiète les professionnels du secteur de la recherche spatiale britannique, étroitement imbriquée dans les programmes de pointe en Europe.
Modélisation du lancement des 4 satellites Galileo en novembre 2016 (ici, la séparation de la coiffe de la fusée). (Image P.Carril. ESA)
publié le 25 janvier 2018 à 16h04

Petit à petit, insidieusement, le Brexit s’installe. Officiellement, la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne sera effective le 29 mars 2019 à minuit. Les modalités du départ, celles de la période de transition qui suivra – que Londres préfère appeler «de mise en œuvre» – et de la relation future restent encore floues. Pourtant, petit à petit, le Brexit se concrétise. Après l’annonce en novembre de la relocalisation à Paris de l’Autorité bancaire européenne et à Amsterdam de l’Agence européenne des médicaments, le Royaume-Uni vient de perdre une nouvelle pièce du puzzle européen.

La Commission européenne a confirmé mercredi le transfert en Espagne du site de sauvegarde du centre de surveillance de la sécurité du programme européen de navigation par satellite Galileo (CSSG), qui était situé à Swanwick, près de Southampton (sud-ouest de l’Angleterre). Le site devait entrer en opération au cours de l’année 2018, et, de fait, les emplois perdus sont limités, alors que le site principal et opérationnel est situé en France. A terme, le centre de sauvegarde devrait générer une centaine d’emplois directs en Espagne.

Mais le symbole de l'annonce est fort. «Puisque le Royaume-Uni quitte l'UE, le site de sauvegarde du CSSG doit être transféré de ce pays vers l'un des 27 Etats membres de l'UE», a expliqué dans un communiqué la Commission européenne. Le gouvernement britannique a pris acte de la décision, en rappelant qu'il «s'agit d'un outil européen, la décision n'affectera aucun emploi ou entreprise britanniques». Cependant, a ajouté un porte-parole du gouvernement, «nous aimerions un accord qui nous permette de poursuivre notre collaboration réussie avec nos partenaires européens dans les domaines de la science, la recherche et la technologie».

Un secteur en pleine croissance… jusque-là

Pour Graham Turnock, directeur de l'Agence spatiale britannique (UK Space Agency), cette décision représente «un moment décisif et il est désormais clair que le temps presse». Il a pris ses fonctions en mars à la tête de l'organisme chargé de la stratégie britannique en matière spatiale avec un cahier des charges légèrement différent de celui de son prédécesseur. A la longue liste des programmes passionnants à développer dans les années à venir s'est greffé un imprévu : le Brexit. «Au cours de l'année qui vient de s'écouler, nous avons dû défendre la position forte du Royaume-Uni dans les programmes spatiaux européens», a-t-il expliqué dans une interview à Libération. Il revenait juste de Bruxelles, où se tenait en début de semaine la 10e conférence annuelle sur la politique spatiale européenne. La semaine dernière, lors du sommet franco-britannique de Sandhurst, la UK Space Agency et son homologue français, le Centre national d'études spatiales (Cnes) ont signé une déclaration d'intention pour renforcer leurs liens et leur coopération. Les deux agences travaillent notamment sur la mission ExoMars qui prévoit d'envoyer un véhicule sur Mars avec un satellite en orbite au-dessus. Elles sont également impliquées dans le soutien au développement d'un observatoire spatial du climat ou dans la mise en œuvre de services de communication satellitaires pour les Caraïbes récemment frappées par des catastrophes naturelles.

Ce jeudi soir, Graham Turnock participe à Londres à la Nuit des idées, organisée par l'Institut français. Il s'exprimera aux côtés du directeur du Cnes, Jean-Yves Le Gall, et des astronautes français, Thomas Pesquet et britannique, Timothy Peake. L'intitulé de leur intervention ne laisse aucune ambiguïté sur le message qu'ils souhaitent transmettre : «Sharing Space» («partager l'espace»). Graham Turnock aura à cœur de démontrer «la volonté britannique de rester engagé dans les programmes spatiaux européens».

Le programme spatial britannique est en pleine croissance. Il a doublé en taille en une dizaine d'années et a généré un chiffre d'affaires de l'ordre de 13,7 milliards de livres (11,5 milliards d'euros) en 2014-2015. Il représente aujourd'hui 6,5% de l'ensemble de l'économie spatiale mondiale, encore loin des géants américain, russe, chinois, indien ou même français. Il génère directement quelque 38 500 emplois. En 2016, le Royaume-Uni a engagé sa plus grande contribution à ce jour dans l'ESA, l'Agence spatiale européenne, avec une promesse d'investissement de 1,4 milliard d'euros jusqu'en 2021. Il ambitionne d'atteindre 10% du marché global de l'espace d'ici à 2030.

C'était en tout cas l'objectif avant le Brexit. Graham Turnock le reconnaît volontiers, «le risque est que la question du Brexit prenne le pas sur tous les autres aspects de mon travail et notamment le développement des projets, c'est un exercice d'équilibre très délicat».

Absence de direction claire

La UK Space Agency est notamment particulièrement engagée dans le programme Sabre (Synergetic Air-Breathing Rocket Engine), un système de lanceur de fusées qui permettrait de recycler l'oxygène dans l'atmosphère, plutôt que d'embarquer de l'oxygène dans des réservoirs. Cette méthode permettrait de réutiliser les rockets de lancement des fusées au lieu de les voir détruites à chaque lancement. Un programme de lancement de petits satellites est également en cours.

Une unité «spéciale Brexit» a été créée au sein de la UK Space Agency. Sa tâche est double : «d'une part, en externe, il s'agit de parler aux Européens, de définir et d'établir les éléments importants de la négociation, et, en interne, il s'agit de parler au gouvernement britannique pour être en mesure de participer de manière active dans les négociations sur le Brexit». Dans les deux cas, l'objectif est le même, faire prendre conscience que «le programme spatial est important parce qu'il cible des programmes très spécifiques, c'est un vrai souci aussi bien pour l'UE que pour le Royaume-Uni».

Si, sur le principe, le gouvernement britannique reconnaît l’importance du secteur, le problème est le même que pour toutes les branches de l’économie : l’incertitude sur l’avenir et l’absence de direction claire. «Il y a des milliards de détails à régler, notamment sur la sécurité ou la question des chaînes de fournisseurs», lorsque les éléments d’un appareil sont construits dans différents pays de l’UE et passent et repassent les frontières avant d’être finalement assemblés. «Plus vite on pourra clarifier ces détails, plus vite on réduira l’incertitude», explique Graham Turnock qui craint que «cette incertitude à court et moyen terme affecte notre degré d’influence».