Ingvar Kamprad ne laissait rien au hasard. Le fondateur d'Ikea avait déjà créé l'un des plus célèbres groupes de l'économie mondialisée : «Ingvar Kamprad Elmtaryd Agunnaryd». Elmtaryd pour le nom de la ferme des parents, Kamprad dans le Småland, sa province méridionale de la Suède, Agunnaryd nom de son village natal. Il a ensuite anticipé sa mort depuis plus de quarante ans afin d'assurer que d'éventuelles querelles de succession n'entravent pas le futur de son empire. Voilà chose faite. Il s'est éteint aujourd'hui, à 91 ans et laisse une multinationale du boulon et du kit qui pèse 20 milliards de dollars. Son pays fait le deuil de celui qui, plus que quiconque, a permis de «placer la Suède sur la carte du monde», comme l'a écrit la présidente du parti centriste suédois, Anni Lööf.
Marché aux puces
Kamprad a fondé Ikea à 17 ans et commencé par distribuer à vélo cartes de Noël et bas en nylon commandés par courrier. Puis s'est lancé dans la vente de meubles en pièces détachées cinq ans plus tard, un concept aussi simple que révolutionnaire pour conquérir les classes moyennes du monde entier. Bien qu'il n'y tienne plus de rôle exécutif depuis 1988, Ingvar Kamprad continuait à influencer son entreprise. «Il est très difficile d'imaginer Ikea sans Kamprad», titre le journal de référence suédois Dagens Nyheter, qui décrit un homme adulé par ses employés.
Ingvar Kamprad devait en grande partie sa popularité à sa réputation d'homme simple et économe, savamment forgée à coup d'apparitions médiatiques dans lesquelles il assurait ne porter que des habits achetés au marché aux puces, ou ne voyager qu'en seconde classe. Une modestie qui confinait à la pingrerie, lorsqu'il enrageait par exemple en 2008 devant le prix d'une coupe chez un coiffeur danois et assurait : «D'habitude, j'essaye d'aller chez le coiffeur dans les pays en développement. La dernière fois, c'était au Vietnam.»
Passé de fervent militant nazi
Cette frugalité, qu'il affirmait être caractéristique de sa région du Småland, était également le socle fondateur d'Ikea, champion de l'évitement fiscal. Le quartier général du groupe se situe ainsi aux Pays-Bas, un des nombreux maillons d'une complexe combine d'optimisation fiscale. En décembre, le Financial Times rapportait que l'entreprise aurait évité de payer environ un million d'euros de taxes en se servant de failles dans les systèmes de taxation des Pays-Bas mais également de la Belgique, du Luxembourg et du Liechtenstein. La Commission européenne a également annoncé, en décembre, l'ouverture d'une enquête sur le traitement fiscal apparemment très avantageux accordé à Ikea par les Pays-Bas, à travers sa filiale Inter Ikea Systems. Quant à Ingvar Kamprad lui-même, il échappait aux impôts suédois depuis 1973, et résidait dans une villa en Suisse jusqu'à son retour en Suède en 2013.
Ces accusations sont des zones d'ombre dans la biographie de l'illustre entrepreneur, comme l'est son passé de fervent militant nazi, qu'il a lui même défini comme «la plus grande erreur de sa vie». Elles n'entament cependant jamais durablement l'amour que lui porte le public suédois. «Beaucoup de journalistes qui ont voulu nuancer l'image de l'honnête citoyen de Småland ont subi la colère de leurs lecteurs et spectateurs. Il est certaines vérités que les gens ne veulent simplement pas entendre», écrit une journaliste dans le journal DN. Le fondateur d'Ikea offrait souvent ses excuses, la plupart du temps acceptées. Il en avait fait une habitude lors des fêtes de Noël de son entreprise, après quoi il lançait à ses employés cette émouvante tirade : «Un gros câlin à toute la famille Ikea !»
Un gros câlin qui n'empêche pas chez Ikea de fâcheuses boulettes. Comme celle, en 2012, d'avoir effacé les femmes de son catalogue (250 millions d'exemplaires dans le monde) pour l'édition publiée en Arabie saoudite… L'entrepreneur, qui laisse derrière lui une fortune estimée en 2016 à environ 65,5 milliards d'euros, s'est assuré que l'influence d'Ikea dans le monde ne disparaîtrait pas avec lui. Selon l'actuel boss du patron du géant de l'ameublement, Torbjörn Lööf, qui s'est confié au Financial Times, le système de franchise qu'il a instauré dans les années 80 a permis de donner à Ikea une «vie éternelle».