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Les mots secouent

«Censure» : Staline interdit de cinéma en Russie

En Russie, les mots secouentdossier
Le film satirique «La Mort de Staline» devait sortir sur les écrans russes le 25 janvier. Mais deux jours avant, le ministère de la Culture a décidé de suspendre les projections.
«La mort de Staline», de Armando Iannucci. (Photo Concorde Filmverleih GmbH)
publié le 29 janvier 2018 à 20h46
(mis à jour le 30 janvier 2018 à 10h44)

Tsenzura. Censure. Le film satirique  The Death of Stalin (la Mort de Staline), du réalisateur britannique Armando Iannucci, devait sortir sur les écrans russes le 25 janvier. Mais deux jours avant, le ministère de la Culture a décidé de suspendre les projections. La comédie, qui raconte avec humour noir et burlesque les dernières heures du tyran puis l'empoigne au sein du Politburo pour sa succession, avait reçu toutes les autorisations. Mais un groupe de «citoyens préoccupés» ont trouvé qu'elle ne devait pas coïncider avec la célébration du 75e anniversaire de la bataille de Stalingrad (2 février), car l'adaptation de la BD éponyme de Thierry Robin et Fabien Nury était une insulte à la mémoire des vétérans.

Des personnalités du monde culturel leur ont emboîté le pas, dénonçant un  «pamphlet sur l'histoire de notre pays, comédie inconvenante qui salit la mémoire de nos citoyens ayant vaincu le nazisme» . Notons que l'action se déroule en 1953, sans mention de la Seconde Guerre mondiale. Les députés de la Douma, eux, ont découvert des signes d'extrémisme. Elena Drapenko, du Comité pour la culture, a traité le long métrage de «tentative de nous convaincre que notre pays est horrible, notre peuple idiot, et nos dirigeants des imbéciles» . Et en a profité pour dessiner les contours d'une «censure salvatrice» : «Dans des conditions de guerre de l'information, nous devons commencer à vivre selon les règles du temps de guerre, limiter la diffusion de toute information qui porte préjudice à la morale et à la sécurité de notre pays» . Pour Drapenko, cette «provocation» s'inscrit dans la guerre hybride que l'Occident mène contre la Russie.

Il est vrai que sous ses airs potaches, la Mort de Staline est aussi une réflexion sur la nature du pouvoir totalitaire, les victimes et les bourreaux, un travail que la production cinématographique russe contemporaine n'a pas accompli avec la même liberté. Au contraire, le stalinisme a été méthodiquement réhabilité à l'écran et dans les discours officiels, devenant synonyme de victoire sur Hitler. Et tant pis pour les millions de victimes et le régime de terreur. Peu à peu, Staline, dont le buste s'élève désormais dans l'Allée des dirigeants russes, est devenu l'une des incarnations de l'Etat russe. Or, on ne se moque pas de l'Etat russe. Surtout quand on n'est pas russe.

«Nous n'avons pas de censure, mais il y a une limite éthique entre l'analyse critique de l'histoire et le persiflage», a déclaré le ministre de la Culture, Vladimir Medinsky, avant de mettre son veto. Inutile de préciser que Iannucci ne pouvait pas rêver d'un meilleur coup de pub. Un cinéma indépendant de Moscou a eu le temps d'organiser deux projections, à guichets fermés, avant que la police ne s'en mêle, tandis que les internautes russes se frottent les mains en attendant les versions pirates et les liens qu'ils se feront un malin plaisir de télécharger et diffuser.