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Libération
Récit

Semaine sanglante en Afghanistan : le gouvernement impuissant

Les attaques particulièrement meurtrières que vient de subir le pays illustrent la faiblesse du pouvoir de Kaboul et l’échec des Etats-Unis, engagés sur le terrain depuis 2001.
Après l’explosion de l’ambulance piégée, qui a fait 103 morts et 235 blessés, samedi, à Kaboul. (Photo Sandra Calligaro)
publié le 29 janvier 2018 à 20h46

Lundi était un jour chômé à Kaboul. Le gouvernement afghan avait décidé que la ville devait s’occuper de ses blessés et de ses familles endeuillées. Deux jours plus tôt, elle avait subi un nouveau carnage : 101 morts et 235 blessés lorsqu’une ambulance piégée avait explosé à proximité du ministère de l’Intérieur. L’attentat a été revendiqué par les talibans. Kaboul n’a pas eu le temps de commencer à récupérer. Lundi à l’aube, cinq kamikazes se sont attaqués à l’académie militaire, gigantesque complexe de 40 hectares.

Au moins 11 soldats ont péri et 16 ont été blessés. Le bilan était encore provisoire lundi après-midi. Les talibans ne sont pas responsables. Cette fois, c’est l’Etat islamique qui était à l’œuvre, comme si les deux organisations se faisaient concurrence.

Kaboul a l’habitude des attentats. La ville en subit régulièrement depuis 2006 et l’insurrection talibane. Les attaques sont plus ou moins violentes, plus ou moins fréquentes. Mais elles n’ont jamais été aussi sauvages que depuis l’été dernier. Elles se succèdent et visent des ambassades, des ONG, des hôtels, des mosquées, des quartiers commerçants, des casernes ou des barrages de l’armée. A plusieurs reprises, les morts et les blessés ne se sont pas comptés par dizaines, mais par centaines.

«Soutien américain»

Face à ce déferlement de violence, l'Etat afghan n'a jamais paru aussi impuissant. Après l'attaque contre l'ONG Save the Children, qui a fait cinq morts mercredi à Jalalabad, dans l'est du pays, le président Ashraf Ghani a déclaré que les «terroristes en déclin, qui reculent sur le terrain, se tournent désormais vers ce genre d'opérations». Pour Gilles Dorronsoro, spécialiste de l'Afghanistan et professeur de sciences politiques à l'université Paris-I, «l'Etat afghan est en train d'exploser : il y a en réalité des "trous sécuritaires" partout, et le gouvernement est décrédibilisé un peu plus après chaque attentat» .

En première ligne, Ashraf Ghani est désormais directement pris à partie. L'ancien chef des renseignements Amrullah Saleh l'accuse de ne pas voir que «le pays s'écroule» . «Concentrez-vous sur la sécurité, la cohésion nationale et le Pakistan. […] Ne vous prenez pas pour Superman», dit-il sur Twitter. «La situation est inacceptable. Le gouvernement perd beaucoup de temps et d'énergie dans des rivalités politiques et des luttes intestines alors qu'il devrait se préoccuper de la sécurité», a de son côté dénoncé Abdul Hadi Arghandiwal, un ancien ministre.

Le président afghan ne peut pas compter sur les seules forces de sécurité nationales pour empêcher les attentats et freiner la progression des talibans, qui n’ont jamais contrôlé autant de territoires depuis la chute de leur régime en octobre 2001.

Plus de 6 700 soldats et policiers afghans ont été tués l'an dernier. Un niveau jamais atteint depuis le début du conflit. D'après l'Inspection générale de la reconstruction de l'Afghanistan (Sigar) - un organisme américain qui rend compte au Congrès - un tiers des effectifs de l'armée afghane doit, en moyenne, être remplacé chaque année pour compenser les pertes, les désertions, les contrats non renouvelés et les «soldats fantômes», ces fausses recrues déclarées par des gradés pour s'arroger leur solde. «Un tel niveau d'usure aboutit peu à peu à une armée peu ou pas entraînée. Les formations ne dépassent pas le stade basique», dit le Sigar dans son rapport de septembre.

Environ 90 % du budget de la Défense, soit 4 milliards de dollars par an, (3,2 milliards d'euros), est assuré par les Etats-Unis. «Sans le soutien américain, nous ne pourrions pas faire vivre notre armée plus de six mois», a reconnu récemment Ashraf Ghani. Cet été, après avoir hésité à confier à des mercenaires la guerre en Afghanistan, Donald Trump a annoncé l'envoi de 4 000 soldats supplémentaires. Avec ceux de l'Otan, cela portera le total à environ 17 000 militaires étrangers. Il y en avait près de 130 000 en 2010. «Les derniers renforts américains permettent d'éviter que des grandes villes tombent aux mains des talibans», explique Gilles Dorronsoro.

Fronde

Sans marge de manœuvre sur le plan militaire, le président afghan doit aussi gérer la fronde de plusieurs hommes forts du pays. Officiellement, le gouverneur de la province de Balkh (Nord), Atta Mohammed Nour, n’est plus en fonction depuis son limogeage en décembre. Mais il refuse de quitter un poste qu’il occupe depuis 2004, et Ghani n’est pas en mesure de le chasser.

Le président afghan serait également en froid avec le général Abdul Raziq, l'un des hommes les plus puissants, et les plus craints, de la province de Kandahar (Sud). Personne, dans l'entourage de Ghani, n'ose désormais plus assurer que les élections législatives pourront se tenir comme prévu en juillet. Ni même la présidentielle, programmées pour 2019. «Franchement, je ne sais pas si ce sera possible mais il est clair que cela va être compliqué, soupire un ancien lieutenant du Président. Le problème est que si l'on n'y arrive pas, c'en est fini des tentatives de démocratie en Afghanistan.»