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Libération
Temps de travail

L’Allemagne travaillée par les 28 heures

Le syndicat IG Metall a lancé un appel à la grève pour ce mercredi afin de réduire le temps de travail hebdomadaire dans la métallurgie. Dans un pays qui a du mal à recruter, la proposition, soutenue par les jeunes générations, offusque le patronat.
Le 10 janvier, dans une imprimerie à Offenbach, près de Francfort, des employés syndiqués à IG Metall réclament une hausse de salaire de 6 % et le passage aux 28 heures hebdomadaires. (Photo F. Rumpenhorst. AFP)
publié le 30 janvier 2018 à 20h36

Ce mercredi, une partie de l’Allemagne se réveille en grève. Jusqu’à vendredi, des débrayages d’une journée doivent toucher plus de 250 entreprises. Ces arrêts momentanés signent l’échec de plusieurs semaines de négociations tendues entre le syndicat IG Metall et le patronat du secteur. Ce puissant syndicat de métallos, représentant 3,9 millions de salariés d’entreprises telles que Siemens, Daimler ou Porsche, réclame la possibilité pour les salariés du secteur de réduire leur temps de travail à 28 heures par semaine, avec compensation salariale dans certains cas. IG Metall demande également 6 % d’augmentation de salaire.

Devant les refus catégoriques du patronat, il menace même d’avoir recours à une grève illimitée. Impensable dans un pays qui craint les conflits sociaux. La semaine de 28 heures est la revendication inédite qui cristallise toutes les tensions, bien plus que l’augmentation des salaires. Il s’agit de la possibilité pour les salariés de passer, sur la base du volontariat, à 28 heures par semaine, pour deux ans, avec la garantie d’un retour aux 35 heures. Ce qui implique une baisse de salaire, sauf dans quelques cas. Ainsi, si un salarié a à sa charge un proche dépendant, ou un enfant de moins de 14 ans, le syndicat exige une compensation salariale de 200 euros par mois. Il propose aussi des ajustements pour les travailleurs postés avec la possibilité d’une semaine à 28 heures avec compensation de 750 euros par an.

Contexte favorable

Face à de telles demandes, le patronat se montre inflexible, arguant que la chose n’est pas équitable pour les salariés déjà à temps partiel, sans compter les contraintes logistiques. Cette demande intervient dans un contexte favorable pour IG Metall. L’Allemagne est en bonne santé économique. Ses carnets de commandes sont pleins. Son taux de chômage est historiquement bas (5,7 %). Quant aux entreprises, elles sont en manque de travailleurs qualifiés.

Bref, le pays est loin de la situation de 1994, lorsque les employés de Volkswagen passaient à la semaine de quatre jours afin d’enrayer le chômage - avec réduction de salaire. Changement de temps : la question posée aujourd’hui par IG Metall est avant tout sociétale : il s’agit de concilier vie professionnelle et vie personnelle. Question cruciale, que le syndicat avait déjà posée en faisant grève dans les années 80 pour un passage aux 35 heures.

«Les valeurs changent»

Mais aujourd'hui, sa position est révélatrice du zeitgeist («l'esprit du temps»). Ainsi, il apparaît que les jeunes générations débarquant sur le marché du travail ne veulent plus perdre leur vie à la gagner. Le syndicat, qui a besoin d'adhérents pour des tas de raisons (notamment à cause de la faible démographie allemande), l'a bien compris. Cette revendication des 28 heures fonctionne comme un produit d'appel à l'endroit des millennials (les 18-35 ans) afin de les inciter à rejoindre leur cause. Plus globalement, ce sont «50 % des Allemands [qui] souhaitent travailler moins», dit Alexander Spermann, spécialiste du marché du travail et professeur à l'université de Fribourg.

«Il y a aussi, ajoute Jutta Rump, professeure à l'Institut pour l'emploi de Ludwigshafen (Rhénanie-Palatinat), quelque chose de profondément moderne. Beaucoup de gens souhaitent déterminer eux-mêmes le temps consacré à leur vie professionnelle et à leur vie personnelle. En Allemagne, les valeurs changent.» Et d'ajouter : «Certes, il existe déjà les 35 heures. Mais prenons l'exemple de quelqu'un dont l'enfant va à l'école maternelle de 8 heures à 16 heures, comme c'est souvent le cas ici. Cela laisse huit heures pour le travail, mais il faut aussi compter le temps de trajet, qui peut être long. Cela fait plus de huit heures. En réalité, vous ne pouvez pas être aux 35 heures dans cette situation. Alors, soit vous vous arrangez avec votre entreprise, en pratiquant par exemple le télétravail de temps à autre, ou bien vous réduisez votre nombre d'heures hebdomadaires pendant un certain temps. Voilà ce que demande IG Metall.»

Flexibilité

Dans ce contexte où l'économie allemande va bien, les entreprises, après avoir demandé flexibilité et souplesse à leurs salariés (lorsque ça allait moins bien), doivent en retour assurer leur bien-être. Ainsi, Jörg Hofmann, président d'IG Metall, parle de «responsabilité sociale des employeurs». «Lors de la crise financière de 2008, explique Alexander Spermann, on a demandé aux employés de faire preuve de flexibilité. Ce qui a permis aux entreprises de réduire leur production sans toucher aux emplois.»

A l'époque, syndicats comme employés ont consenti à mettre en œuvre certains ajustements pour résister à la crise, en ayant par exemple recours au chômage partiel. Ce qui explique, partiellement, pourquoi l'Allemagne s'en est bien sortie. «Or, la flexibilité, dit Alexander Spermann, ça marche dans les deux sens.» Selon ce dernier, «un compromis pourrait être trouvé après quelques jours de grève». Ce qui pourrait impliquer, par exemple, de pouvoir réduire le temps de travail… Une victoire pour le syndicat. Mais Alexander Spermann n'exclut pas qu'un accord puisse impliquer une flexibilité de la durée du travail, et donc une augmentation.

Du coté des politiques allemands, on regarde un peu ailleurs. Angela Merkel et Martin Schulz sont plus occupés à peaufiner leur contrat de coalition, qui devrait être dévoilé lundi, qu’à se déchirer sur un énième sujet. Les sociaux-démocrates se sont assez peu emparés de la question. Certes, au début des négociations, la puissante cheffe de la fraction SPD au Bundestag, Andrea Nahles, par ailleurs ministre du Travail de 2013 à 2017, s’est déclarée favorable aux 28 heures.

Mais depuis, le sujet n’a pas émergé. Et pour cause : les sociaux-démocrates, à qui l’on doit les «lois Hartz» dans les années 2000 (qui ont contribué à la précarisation d’un grand nombre de salariés), avaient déjà promis, lors des élections en 2013, une mesure pour garantir le retour au temps complet pour les salariés ayant effectué un temps partiel. Cette mesure, les militants du SPD y tiennent. Sans pour autant l’avoir mise en place lors de la précédente grande coalition…