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Libération
Reportage

Discours sur l’état de l’Union de Trump : «Honteux, triste, décourageant»

Les membres du parti démocrate de Berkeley ont choisi de regarder le discours du président nord-américain en pariant sur les thèmes abordés. Malgré ses tentatives pour rester mesuré, Trump en a très vite appelé à une ligne beaucoup plus dure sur l’immigration.
Donald Trump lors de son premier discours sur l'état de l'Union, mardi. (Photo Chip Somodevilla. AFP)
publié le 31 janvier 2018 à 7h22

Comment survivre au premier discours sur l'état de l'Union de Donald Trump ? Des pintes, des pintes, et encore des pintes. Voilà la solution choisie par les participants à la soirée télé organisée par le parti démocrate de Berkeley, dans un bar situé à quelques pas de la très libérale université californienne. La gueule de bois houblonnée pour oublier la gueule de bois politique. Stephen Murphy, aux manettes de l'événement, a fixé une règle très stricte : une gorgée à chaque fois que le 45e président des Etats-Unis prononce les mots «économie» ou «impôts» (ainsi qu'un pichet cul sec pour «environnement» et «éducation», mais «ça n'arrivera pas»). Les verres se vident à toute allure, à mesure que Donald Trump se rengorge des performances records de la bourse américaine ou du taux de chômage «historiquement bas» chez les Afro-Américains ou les hispaniques. Autant de réussites dues à son action, selon lui.

Les grilles de bingo prévues pour l'occasion sont rapidement noircies : «America First», «Make America great again», «argent», «emploi»… le président milliardaire coche toutes les cases attendues en s'autocongratulant pour son bilan économique. Une entrée en matière anticipée par la plupart des participants à la soirée. «Je ne pense pas qu'il se lancera dans des sujets polémiques», affirme ainsi Roland, quelques minutes avant que le président américain ne prenne la parole devant les élus du Congrès. «Quelqu'un qui découvrirait Trump ce soir aurait l'impression de voir un élu républicain classique, renchérit Stephen Murphy. Il va se focaliser sur l'économie. Mais il se rattrapera demain sur son compte Twitter.»

Le naturel refait surface

De fait, tout au long des 90 minutes de son intervention, Donald Trump tente de rester mesuré, invoquant à plusieurs reprises le «rêve américain» et appelant à mettre les clivages partisans «de côté». Mais le naturel refait rapidement surface. Très vite, le locataire de la Maison Blanche appelle à une ligne beaucoup plus dure sur l'immigration. Il s'en prend à plusieurs reprises aux membres du gang criminel MS-13, principalement composé de personnes originaires d'Amérique centrale. Puis réitère son appel à bâtir un «grand mur» entre les Etats-Unis et le Mexique. Hourras (ironiques) de la salle du Spats Bar, où les grilles de bingo ne cessent de progresser. La fin du discours est tout aussi musclée. Trump annonce sa volonté de garder ouvert le camp de prisonniers de Guantanamo, avant d'être ovationné par son camp aux cris de «USA, USA !».

Pas de quoi rassurer Alex, chercheur en science des matériaux à Berkeley. «Honteux, triste, décourageant», voilà comment il qualifie ce premier discours sur l'état de l'Union. «Trump est apparu très nationaliste, religieux, militariste. En l'écoutant, on a presque l'impression de vivre dans un régime théocratique», dénonce-t-il. A son grand regret, le président n'a rien dit sur l'environnement, ou presque. «La seule fois où il en a parlé, c'est pour affirmer que le charbon est une "belle et propre énergie". J'ai peur qu'on doive encore attendre au moins trois ans avant que nos dirigeants ne prennent vraiment conscience du changement climatique.»

Si Alex est venu à ce bingo, c'est pour «rire à plusieurs plutôt que de pleurer tout seul chez [lui]». Un choix assumé par bien des participants. «C'est la seule façon dont je pouvais survivre à ce truc», glisse une femme en sortant. «J'avais besoin de mes amis et d'alcool», renchérit une autre. Une catharsis collective pour encaisser les uppercuts. «Trump a l'air idiot, tacle Julia. On dirait un tyran de classe de 6e «Rien que le regarder, ça me fait enrager», soupire Bec, directrice artistique de 41 ans. Elle se dit particulièrement choquée par la façon dont le président a utilisé les histoires de plusieurs personnes invitées ce mardi soir au Capitole (notamment deux familles dont les filles ont été tuées par des membres du gang MS-13) pour faire progresser son agenda : «Je le trouve opportuniste, à mon avis il ne se soucie pas vraiment de ces gens.»

Jesse, son petit ami, renchérit : «J'ai même l'impression que Trump a intentionnellement invité davantage de Noirs et d'Hispaniques pour se défendre de toute accusation de racisme.» Ces Californiens s'inquiètent du sort qui sera réservé aux personnes en situation irrégulière au cours des prochains mois : «Dans notre Etat plus qu'aucun autre, on sait que les immigrés sont à la base de notre économie et que, sans eux, on ne serait rien», analyse Stephen Murphy. Pour Jesse, Trump ne mène rien de moins qu'une «guerre contre la pensée».