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Libération
EN ATTENDANT GROKO

La grande coalition allemande, accouchement aux forceps d'un accord entre Merkel et Schulz

Elections en Allemagnedossier
Les militants sociaux-démocrates doivent se prononcer sur un accord de coalition entre SPD et CDU-CSU, résultat d'intenses discussions. Un nouveau gouvernement pourrait alors voir le jour à Pâques.
Angela Merkel et Martin Schulz (à gauche), vendredi à Berlin. (Photo John MacDougall. AFP)
publié le 6 février 2018 à 17h38

Après plus de quatre mois de rebondissements dignes d'une série télé, un accord de coalition pourrait bien être enfin trouvé entre les chrétiens-démocrates d'Angela Merkel (CDU-CSU) et les sociaux-démocrates de Martin Schulz (SPD). Aprement discuté au terme de douloureuses et longues séances de négociations – les discussions devaient se terminer dimanche soir, elles se sont finalement prolongées mardi –, l'accord devrait ouvrir la voie pour la nomination d'un nouveau gouvernement, sans doute aux alentours de Pâques. Mais il reste une étape, cruciale : les quelque 450 000 militants du SPD sont censés approuver ce texte. Et en la matière, rien n'est gagné.

Cet accord est, de toutes les manières, une victoire à la Pyrrhus pour une Angela Merkel sur le déclin et un Martin Schulz qui peine à convaincre ses troupes sociales-démocrates. Prenons le cas de la chancelière : si la base du SPD finit par révoquer ce texte, son avenir à la tête de l'Allemagne est, évidemment, compromis. Comment régner lorsqu'on est incapable de s'entendre avec les libéraux et les verts (une «coalition à la jamaïcaine» réunissant ces trois partis a capoté en novembre), et avec les sociaux-démocrates ? «Le SPD est l'assurance-vie de Merkel, analyse le politologue Timo Lochocki, du German Marshall Fund. Si cela ne marche pas, les gens vont vraiment se dire "Hey, il est peut-être temps de partir, non ?" Sans acrimonie, juste en se basant sur le constat que ça ne marche plus. Un peu comme ce qui s'est passé lors des dernières années du mandat d'Helmut Kohl.»

Le SPD n'est pas en meilleure posture. L'aura des sociaux-démocrates n'en finit plus de faiblir dans l'opinion - un sondage tout récent et particulièrement calamiteux le place autour de 17% d'intentions de vote, tandis que l'AfD culmine à 15%. En outre, le numéro de duettistes CDU et SPD, partis déjà au pouvoir lors de la précédente coalition, a fait son temps. Selon le même sondage, si des élections avaient lieu aujourd'hui, les deux partis additionnés n'auraient plus la majorité… Tout indique enfin que l'opinion en a assez de ces tergiversations politiques, qui font de l'Allemagne un pays curieusement amorphe – selon une enquête de la télévision publique ARD, 71% des Allemands disent ne pas comprendre pourquoi «la formation du gouvernement prend autant de temps». D'autant que depuis plus de quatre mois, en l'absence d'une véritable ligne directrice politique, les ministères ne prennent aucune décision d'envergure et se contentent d'expédier les affaires courantes.

Retour de bâton sur la question migratoire

En outre, Martin Schulz aura bien du mal à convaincre sa base d'accepter un texte qui ne porte guère l'empreinte des sociaux-démocrates. Un exemple parmi d'autres : la promesse de campagne du SPD de taxer davantage les plus hauts revenus s'est évanouie avec le compromis de coalition du 12 janvier. Et puis, il y a la question migratoire. Deux ans et demi après l'accueil d'un million de réfugiés en Allemagne et une Angela Merkel inscrivant dans l'histoire de l'Europe son volontariste slogan «Wir schaffen das» – «Nous pouvons le faire»–, le retour de bâton est violent. Sur ses terres, la chancelière a payé cher cette politique. La question migratoire a monopolisé tous les débats pendant la campagne pour les législatives. L'AfD, parti d'extrême droite initialement néolibéral et eurosceptique, en a fait son principal fonds de commerce. Le sujet a radicalisé les conservateurs de la CSU, l'allié bavarois de Merkel, et même contribué à faire capoter les négociations pour une «coalition à la jamaïcaine». Bref, c'est l'un des points cruciaux de l'accord entre les deux parties - les trois si l'on compte les conservateurs bavarois de la CSU. Ainsi les discussions se sont-elles concentrées autour de la question d'un plafond de demandeurs d'asile, ainsi que sur celle du regroupement familial. Et le résultat est à l'avantage des conservateurs. Il a été décidé de plafonner le nombre de réfugiés arrivant en Allemagne à 220 000. En outre, et cela a d'ores et déjà été voté au Bundestag, un moratoire restreignant le regroupement familial pour les réfugiés dits «subsidiaires» (une catégorie comptant des centaines de milliers de personnes avec un statut de protection temporaire), sera prolongé. A compter du 1er août, 1 000 personnes seront autorisées chaque mois à immigrer en Allemagne dans le cadre du regroupement familial – un quota n'incluant pas «les cas d'urgence». Naturellement, le SPD voulait faire preuve de davantage de générosité, et la CDU-CSU de plus de dureté. Certes, tout le monde a donc mis de l'eau dans son vin pour arriver à un tel compromis. Reste que pour bien des membres du SPD, il n'est pas acceptable…

Anneka Beck vient de la ville de Münster, en Rhénanie-du-Nord-Westphalie. Elle fait partie des quelque 600 délégués du parti qui ont pu voter afin d'autoriser – ou non – la poursuite des négociations avec Merkel. Elle a voté contre, deux fois : en décembre au congrès de Berlin et en janvier au congrès de Bonn. Elle estime en général que les discussions ne portent pas assez l'empreinte des sociaux-démocrates. Elle ajoute : «Le regroupement familial était l'un des points les plus importants de l'accord et je suis extrêmement déçue de ce qui en est sorti. C'est une décision inhumaine.» De manière générale, beaucoup de membres du SPD estiment que ce sujet est un deal breaker. «Nous avons fait largement fait campagne sur ce sujet sur lequel il nous semblait important de ne faire aucune concession aux conservateurs. Mais c'est le cas. Et cette décision ne respecte pas les droits humains, explique Michelle Rauschkolb, membre du bureau national des Jusos, les jeunes du SPD. Les «Jusos» mènent depuis plus de deux mois une bruyante campagne anti-GroKo. Leurs arguments portent. D'autant que le nombre de membres du SPD ne cesse de grandir : Michelle Rauschkolb affirme que 16 000 d'entre eux ont rejoint les rangs du parti depuis janvier… Un chiffre impressionnant, surtout au vu du déclin du parti dans l'opinion.

Alors, que reste-il aux sociaux-démocrates pour prouver qu’ils n’ont pas laissé toutes leurs plumes dans cette histoire ? La santé et le travail. Ce sont les ultimes pierres d’achoppement dans ces négociations. En résumé, les sociaux-démocrates réclament une réduction des inégalités entre caisses publiques et privées d’assurance maladie et un moindre recours aux contrats à durée déterminée. Les conservateurs ne sont pas tellement d’accord. Sinon, le SPD n’est pas parvenu à s’imposer sur les sujets environnementaux ; par exemple, aucune date cible n’a été fixée pour l’élimination progressive du charbon. En revanche, l’accord de coalition prévoit de mettre fin à l’utilisation du glyphosate – mais n’oublions pas que sous la pression des conservateurs, l’Allemagne a récemment voté en faveur de sa réautorisation au sein de l’UE…

Alors que feront les membres du SPD lorsqu'ils auront à se prononcer sur le texte ? Deux choses à peu près sûres à ce stade : leur décision ne sera pas connue avant quelques semaines et les débats seront agités. «Le parti est si divisé que quelques milliers de votes peuvent faire pencher la balance dans un sens ou dans l'autre, commente le politologue Michael Bröning. Après tout, le vote des délégués au congrès de Bonn en faveur d'une grande coalition était déjà très serré. Ainsi, malgré les efforts des dirigeants du parti pour négocier de leur mieux avec Merkel, le plus dur les attend : convaincre leur propre base.»