Après une impasse politique longue de plus de quatre mois, les négociations pour la formation d’une coalition ont enfin abouti mercredi à Berlin à un accord entre les sociaux-démocrates (SPD) et les conservateurs (CDU-CSU) menés par Angela Merkel.
C'est cependant une victoire en demi-teinte pour la chancelière, qui a dû faire beaucoup de concessions pour arracher cet accord de principe aux sociaux-démocrates de Martin Schulz. Malmenés dans les sondages, les deux partis formant la «GroKo» (pour Grosse Koalition, ou grande coalition) semblent davantage avoir obtenu un sursis pour gouverner quelques années de plus selon la formule du «weiter so» («on continue comme ça»), dans un parlement dont le premier parti d'opposition devient de fait l'AfD, parti populiste d'extrême-droite. Reste que sur l'échiquier politique, cet accord fait la part belle aux sociaux-démocrates.
En effet, le SPD tire clairement son épingle du jeu en décrochant six ministères, dont ceux, très convoités, des Affaires étrangères et des Finances. Martin Schulz, pressenti comme chef de la diplomatie, laisse sa place de secrétaire général du SPD à sa consœur et actuelle cheffe de file du parti au Parlement, Andrea Nahles. Cette dernière a vu son influence s’accroître considérablement ces derniers mois, notamment après son plaidoyer pour une grande coalition lors de l’assemblée extraordinaire du parti fin janvier. L’ancienne représentante des Jeunes Socialistes est désormais largement vue comme une figure d’avenir pour le parti à l’échelle nationale.
Heiko Maas, actuel ministre SPD de la Justice, devrait conserver son portefeuille et Olaf Scholz, maire SPD de Hambourg, obtiendrait non seulement le ministère des Finances mais aussi la vice-chancellerie. La prise du portefeuille des Finances par le SPD signe une victoire pour le parti et lance un signal fort vers une nouvelle politique allemande européenne, tournant le dos à la tradition d’austérité de Wolfgang Schäuble (CDU) ces dernières années et ouvrant la voie aux réformes de la zone euro voulues par Emmanuel Macron.
Du côté de la CDU, Peter Altmaier, actuel directeur de la chancellerie fédérale, devrait hériter du ministère du Budget. Ursula von der Leyen conserverait le ministère de la Défense. Selon une promesse électorale d’Angela Merkel et le principe de parité, deux autres ministères devraient échoir à des femmes, dont l’Agriculture, qui irait à Julia Klöckner.
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Le ministère de l’Intérieur serait transformé en un super-ministère rassemblant l’Intérieur, le Patrimoine et la Construction. La tâche serait confiée à Horst Seehofer, l’ancien ministre-président de Bavière, dont les sorties controversées et répétées à l’égard de la politique migratoire d’Angela Merkel lui ont permis de faire pression sur la chancelière et de lui imposer un plafond migratoire de 180 000 à 220 000 entrées annuelles sur le territoire. La question migratoire a donc coûté cher à Merkel, mais avec le plafond imposé dans cet accord de 1 000 personnes accueillies par mois dans le cadre des regroupements familiaux, c’est également une des mesures phares du SPD qui passe à la trappe.
Lors de sa conférence de presse, la chancelière, les traits tirés mais visiblement soulagée, s'est déclarée satisfaite des négociations. Martin Schulz, qui après les élections avait souhaité que son parti retourne dans l'opposition, a quant à lui déclaré sur Twitter : «Nous avons négocié un accord qui va améliorer nos écoles, sécuriser nos emplois, protéger nos retraites et renforcer notre Europe. Nous avons obtenu beaucoup pour notre peuple. C'est ce qui compte et c'est pour ça que je vais défendre cet accord.»
Mais si les négociations ont satisfait les partisans d'une grande coalition, les Jeunes Socialistes (Jusos) comptent encore y faire obstacle. Selon leur leader Kevin Kühnert, rejeter la coalition signifie aussi «rejeter le style politique qui est en place aujourd'hui». Cette ébauche d'un gouvernement reste donc tout à fait hypothétique puisqu'il faut encore que les plus 463 000 membres du SPD, extrêmement divisés sur la question, valident l'accord pour permettre à leurs dirigeants de former un gouvernement avec les conservateurs.
Il faudra donc attendre encore plusieurs semaines, et l’issue du vote intra-SPD début mars, afin de savoir si l’Allemagne pourra ou non se doter d’un gouvernement de coalition ou bien, le cas échéant, si l’on se dirige vers de nouvelles élections au cours desquelles les deux partis formant précédemment la majorité verront probablement diminuer leur maigre avance sur les partis d’opposition.