«Regardez, nos nouvelles poubelles!» Vadim Gaev stoppe sa voiture, pour bien contempler son œuvre. De fait, de nouveaux conteneurs à poubelle, sur roulettes, abrités par un petit toit, on n'en voit pas souvent dans les villages d'Ukraine. «Nous allons établir un système de recyclage: là, le plastique, ici, le verre…» Vadim Gaev, maire de Novopskov, fourmille d'idées, et n'entend pas s'arrêter aux ordures municipales. En 2015, son village était le premier en Ukraine à former une hromada, une communauté de communes, dans le cadre de la nouvelle loi sur la décentralisation. Depuis, la vie des 12 400 habitants a été bouleversée.
«Auparavant, toutes les ressources collectées au niveau local étaient transférées aux niveaux régional et national, se souvient Tetiana Tchervenko, secrétaire du conseil municipal. Officiellement, les fonds étaient redistribués en fonction des besoins. Dans la pratique, il fallait se déplacer dans la capitale de région, supplier pour le moindre kopeck.» Une situation qui entretenait un système boiteux, et multipliait les risques de corruption.
Asphalte frais
L’instauration de la hromada a consacré une autonomie budgétaire et décisionnaire appréciable. De 7 millions de hryvnias en 2014 (environ 201 000 euros), le budget municipal est passé à 66 millions de hryvnias (environ 1,92 million d’euros). Ce vendredi après-midi, le petit bâtiment de l’administration municipale est une fourmilière. Mais ce sont dans les rues de ce coin de campagne reculé, dans le nord-est du pays, à 20 kilomètres de la frontière russe, que les résultats sont flagrants.
«Les cinq crèches du village ont été rénovées, et modernisées. Nous avons installé de nouveaux terrains de jeux, un terrain de sport. L'éclairage public est revenu dans nos rues, poursuit Vadim Gaev. Vous voyez, ce bâtiment en construction? Ce sera bientôt un centre administratif informatisé, spacieux, accueillant…» Les routes sont soit couvertes d'un asphalte encore frais, soit en cours de reconstruction. A une intersection cependant, un lambeau de bitume s'étire vers la sortie du village, parsemé de nids-de-poule. «C'est une route régionale, remarque le maire, on ne peut pas y toucher.»
«On entend souvent dans les hromada qu'ils ont accompli plus en deux ans que pendant les trois dernières décennies», constate Yarina Jourba, l'une des expertes les plus pointues sur le processus de décentralisation, à Kiev. Un certain nombre de localités traînent néanmoins à former des hromada, en raison de complications pratiques ou de conflits de personnalités. «Cela réduit l'effet d'entraînement de la réforme», admet Jourba.
«Changement des mentalités»
D'autant que la réforme n'est pas achevée. Si la décentralisation budgétaire est une réalité, le redécoupage administratif qui devait parachever le processus est bloqué à Kiev. Les parlementaires se déchirent régulièrement autour du projet de loi, en raison d'une clause introduisant un statut spécial temporaire pour les territoires sous contrôle séparatiste. En conséquence, l'échelon du rayon (canton), n'a pas encore disparu, et il est souvent en concurrence avec les hromada pour le contrôle des ressources.
L’ensemble produit une décentralisation incomplète, qui pourrait poser certaines difficultés dans la durée. Pour l’heure, Vadim Gaev ne veut pourtant pas en entendre parler. Lui et son équipe sont submergés par les projets, et rêvent des perspectives offertes par leur stratégie municipale «Novopskov 2020». Développer le tourisme vert, ou encore attirer de nouvelles activités économiques, ce qui doit améliorer la qualité de vie locale, mais aussi enrayer l’exode rural dont souffre Novopskov.
Mais le plus important pour le maire, c'est «œuvrer à un changement des mentalités, afin que les habitants réalisent qu'ils sont acteurs de leur propre destinée». Il en veut pour preuve un morceau de trottoir. Les Koulyk avaient toutes les peines du monde à sortir le fauteuil roulant de leur fils handicapé, jusqu'au moment où ils ont coordonné un projet avec la mairie. «Nous avons rédigé tout le plan de construction, explique la mère, Oksana. La municipalité a avancé les fonds, mais il nous a fallu encadrer les travaux, dégager le terrain, disposer de la terre déblayée, etc.» Aujourd'hui, le fauteuil roulant glisse sur un carré de bitume tout lisse. «J'aime beaucoup Vadim, le maire, confesse Oksana. Mais au moins, cette fois, je n'ai pas la sensation qu'il est un homme providentiel à qui nous devons tout. Nous avons décidé nous-même de nous prendre en main!»