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Libération
Décryptage

En Corée, une trêve olympique minée

Les Jeux de Pyeongchangdossier
L'invitation du leader nord-coréen, Kim Jong-un, à son homologue du Sud, Moon Jae-in, pour un nouveau sommet intercoréen, témoigne d'une détente en réalité très précaire.
Kim Yo Jong (G), la soeur du leader Nord Coréen Kim Jong Un remet une lettre au président Sud Coréen Moon Jae-in (D) à Séoul le 10 février 2018 (Photo -. AFP)
publié le 11 février 2018 à 19h39

Après l'arrivée au Sud en nombre et l'offensive de charme, l'invitation en bonne et due forme. Samedi, la Corée du Nord a officiellement convié le président sud-coréen, Moon Jae-in, à un sommet intercoréen à Pyongyang. C'est Kim Yo-jong, la sœur cadette de Kim Jong-un, qui s'est chargée de remettre à Moon la lettre du leader nord-coréen. Dans le but «d'améliorer les relations intercoréennes, l'envoyée spéciale Kim Yo-jong a transmis [au président Moon] l'invitation de son frère à visiter le Nord au moment qui conviendra au président», selon le compte rendu du porte-parole présidentiel, Kim Eui-kyeom, à Séoul.

L'envoyée spéciale de Kim a même relayé oralement l'invitation à Moon. «Je souhaite vous voir à Pyongyang le plus tôt possible, a ajouté Kim Yo-jong, dont les mots et les gestes ont été scrutés par les médias et l'opinion publique sud-coréenne. Si vous rencontrez le dirigeant Kim Jong-un et discutez de divers sujets, les relations Nord-Sud pourraient rapidement s'améliorer», a-t-elle dit au président sud-coréen, selon l'agence Yonhap. «J'espère que le président créera une empreinte dans l'histoire dont la future génération se souviendra pendant longtemps en jouant un rôle central dans l'ouverture d'une nouvelle ère d'unification», a-t-elle poursuivi.

Quelle est la réaction de la Corée du Sud?

Ces derniers jours, Moon Jae-in n'a pas manqué de sourires et gestes chaleureux à l'égard du Nord. Mais il est resté prudent après l'invitation officielle du Nord. «Faisons en sorte que cela se produise en créant à l'avenir les conditions nécessaires», a-t-il répondu à propos de «l'ouverture d'une nouvelle ère». Il a également appelé le Nord à une «reprise rapide du dialogue avec les Etats-Unis», démarche «nécessaire pour le développement des relations entre les deux Corées», a précisé le porte-parole du président. Moon, depuis son élection, a multiplié les occasions et les discours pour appeler à la détente. Dans un long discours prononcé en juillet à Berlin, il avait dessiné une ambitieuse feuille de route pour de nouvelles coopérations intercoréennes. Elu en mai, Moon a été dans les années 2003-2007 l'une des chevilles ouvrières de la «sunshine policy», la «politique du rayon de soleil» esquissée par un timide rapprochement intercoréen (Nord Politik) à la fin des années 80.

Qu’est-ce que la «politique du rayon de soleil»?

Le 13 juin 2000, le président sud-coréen, Kim Dae-jung, se rend à Pyongyang pour rencontrer Kim Jong-il, le père de Kim Jong-un. Ce premier sommet intercoréen, quarante-sept ans après la fin de la guerre de Corée, soulève un immense espoir, rapproche les deux sociétés et ouvre des perspectives vers la réunification. Tout sourire, le grand leader Kim Jong-il surprend en hôte chaleureux. Au-delà de la déclaration en cinq points, les deux Corées s'entendent pour construire le complexe touristique du mont Kumgang, dans l'est de République populaire de Corée, ainsi qu'une zone industrielle, Kaesong, dans le nord-ouest de la zone démilitarisée. Séoul et Pyongyang décident d'un volet humanitaire et de réunir les familles séparées par la guerre de 1950-1953. Sept ans plus tard, en octobre 2007, le président sudiste Roh Moo-hyun fait à son tour le voyage à Pyongyang pour approfondir des projets déjà lancés. Mais il ne sera pas réellement appliqué. L'année suivante, le faucon conservateur Lee Myung-bak est élu à la présidence.

Est-ce le retour de cette politique?

La «Sunshine Policy» n'existe plus. Kaesong est fermé depuis 2016, les quelque 60 000 ouvriers ont été renvoyés au Nord. Le complexe du mont Kumgang est également bouclé. Après avoir versé pendant une dizaine d'années près de 10 milliards de dollars, le Sud a quasiment cessé toute son aide humanitaire au Nord. Et les retrouvailles familiales ont été ajournées ou annulées. Surtout, depuis 2006, le Nord est devenu une puissance nucléaire, a multiplié les essais de missiles balistiques suivis par plusieurs régimes de sanctions du Conseil de sécurité des Nations unies. Les sommets intercoréens et les rares événements sportifs ou culturels de ces dernières années n'ont nullement dissuadé le régime de Pyongyang de continuer sa marche forcée vers l'arme atomique, sa seule assurance vie face au reste de la planète. Depuis deux ans, il a même accéléré ses programmes nucléaires et balistiques. Une démonstration du fait que les exigences rabâchées des Etats-Unis et du Japon sur la dénucléarisation ne sont guère suivies d'effet. Pis, la bombe atomique est depuis 2012 mentionnée dans la Constitution.

Quelle est l’attitude de Washington?

Présent à la cérémonie d'ouverture, le vice-président américain, Mike Pence, n'a montré aucun signe d'ouverture, ni fait le moindre geste, à l'égard des dirigeants nord-coréens présents à Pyeongchang. Les Etats-Unis répètent que le Nord doit prouver avant toute négociation qu'il est disposé à la dénucléarisation. «Il n'y a pas la moindre divergence entre les Etats-Unis, la République de Corée et le Japon sur la nécessité de continuer à isoler la Corée du Nord économiquement et politiquement jusqu'à ce qu'elle abandonne ses programmes nucléaire et balistique», a déclaré Pence avant de regagner les Etats-Unis. Mais quel crédit accorder à ces propos? Mi-décembre, le secrétaire d'Etat, Rex Tillerson, se disait prêt à discuter «sans condition préalable» avec Pyongyang. Une position proche des projets de la diplomatie olympique de Moon Jae-in.

Jusqu’où peut aller la détente olympique?

L'esprit olympique peut souffler sur les «Jeux de la paix» de Pyeongchang. Mais le vent de la détente pourrait faire long feu. «En se mettant dans une posture positive, en envoyant une délégation de nature très politique, la Corée du Nord est en quête de respectabilité. Elle entend restaurer son image internationale en reléguant au second plan son identité d'Etat nucléaire menaçant, analyse Marianne Peron-Doise, en charge des questions de sécurité à l'Institut de recherche stratégique de l'Ecole militaire (Irsem) à Paris. Il y aura peut-être une reprise des discussions sur les familles séparées. Mais la perspective d'un réel dialogue ne pourra aller loin. Et on le sait au Nord comme au Sud. Ainsi, la réouverture de la zone économique de Kaesong n'est pas crédible, cela irait à l'encontre des sanctions votées par l'ONU.» Il est probable que le Nord cherche à gagner du temps. «On va moins parler des armes nucléaires. La pression sur la Corée du Nord va se relâcher. Cela va permettre au régime de Pyongyang de continuer à produire de la matière fissile», expliquait mardi Antoine Bondaz, chercheur à la Fondation pour la recherche stratégique, aux étudiants de l'Institut catholique de Paris.

L'après JO, le 25 février, verra probablement le retour des tensions. Pyongyang a obtenu de Séoul le report des exercices militaires américano-sud-coréens Foal eagle/Key Resolve. Presque tous les ans, le régime nord-coréen se manifeste en réaction à ces entraînements grandeur nature à ses portes, qu'il juge comme une menace, sinon un prélude à un envahissement. La Chine est favorable à la solution du «freeze for freeze»: le gel des entraînements militaires contre le gel des programmes nucléaires. Les Etats-Unis ont plusieurs fois rejeté cette politique. Et, dans le même temps, n'affichent aucune réelle stratégie face à une Corée du Nord, au centre du jeu pour le moment.