Situé dans un quartier discret de Benghazi, le Venesia Market pourrait ressembler à une école avec sa cour et ses étages qui desservent de petits bureaux. Il ne désemplit pas. C’est là que viennent se fournir en cash des hommes d’affaires, des commerçants ou des familles qui signent une reconnaissance de dettes contre du liquide. Une aubaine pour tous ceux qui sont à court d’argent. Ici, derrière de lourdes portes blindées, se trouve une partie du liquide de Libye : dollars, euros, livres sterling et surtout des dinars libyens, monnaie non convertible qui fait tant défaut dans les banques.
Vides
«Un marché parallèle s'est mis en place à Benghazi, comme ailleurs dans le pays. Le taux de change du dollar y est cinq à dix fois supérieur au taux officiel. Les prix sont désormais indexés sur ce marché parallèle», explique Osama Saad Elbakri, vice-directeur de la branche commerciale d'une grande banque. Minée par la guerre civile et la menace d'une partition, la Libye connaît depuis 2014 une grave crise politique doublée d'une crise économique. L'Etat s'est effondré, les caisses sont vides et les banques n'ont plus d'argent liquide. Les investisseurs étrangers se sont retirés. «Les gens ne font plus confiance aux institutions et préfèrent garder leurs sous chez eux. Chacun vit au jour le jour, sans savoir de quoi le lendemain sera fait», déplore le directeur de la Banque du commerce et du développement, Jamal Abdelmalek. «On estime que 29 milliards de dinars [environ 20 milliards d'euros, ndlr] se trouvent en dehors du système bancaire, alimentant le marché noir, qui est devenu le baromètre de notre économie», ajoute le banquier retranché dans son immense bureau du premier étage, alors qu'au rez-de-chaussée, la file des clients est interminable.
«Je viens déposer un chèque sur mon compte. C'est la seule opération qui me soit permise. On ne peut plus retirer d'argent liquide, il n'y en a plus», s'énerve Mohamed, négociant en voitures dans le sud du pays. «Le business est devenu tellement dur. Pourtant, j'ai de l'argent sur mon compte, mais je ne peux pas en disposer. Or, pour mon travail, j'ai besoin de cash. Alors, comme tout le monde, je vais le chercher au Venesia Market.»
«Gâteaux»
Pour retrouver la confiance de leurs clients, les banques ont lancé plusieurs services permettant de régler ses achats sans liquide. «Pay for Me» sert ainsi à faire ses courses avec son téléphone, par simple échange de numéros entre acheteur et vendeur. «Mais sans Internet, ça ne fonctionne pas. Et ici, Internet ne marche pas toujours ou c'est lent», se plaint un utilisateur. Du coup, à Benghazi, on a appris à se débrouiller. Les habitants trouvent des solutions. Mawada, jeune directrice d'une école de maquillage, propose aux élèves de s'acquitter de leur inscription par le troc : «On échange un service contre un autre. Une élève règle les cours en apportant des gâteaux qu'elle prépare chez elle. Une autre propose des réductions dans la boutique de son père», explique-t-elle. Une économie collaborative et informelle s'est ainsi mise en place dans les rues de la ville, en attendant des jours meilleurs.