Débordé par l'exode de ses voisins, le gouvernement colombien a annoncé jeudi 8 février de nouvelles mesures de contrôles migratoires qui risquent fort de peser sur la crise vénézuélienne. Les Vénézuéliens devront désormais obligatoirement montrer un passeport pour entrer légalement en Colombie. Ce sésame étant de plus en plus difficile à obtenir au Venezuela, la mesure pourrait revenir de facto à fermer la frontière, comme s'en inquiètent de nombreux acteurs humanitaires. Ce qui ne manquera pas de pousser les Vénézuéliens décidés à fuir leur pays à passer clandestinement la frontière colombo-vénézuelienne longue de 2 200 km et d'intensifier la crise humanitaire interne.
Le gouvernement colombien a aussi décidé de suspendre la délivrance de la Tarjeta de Movilidad Fronteriza (TMF), qui permettait jusque-là aux populations de la zone frontalière de passer six jours sur le territoire colombien. Cette précieuse carte délivrée depuis deux ans à 1 500 000 Vénézuéliens leur permettait de se faire soigner (pour les urgences), de s'approvisionner, voire de travailler de manière informelle quelques jours pour rapporter au pays quelques pesos. Seuls ceux qui possèdent le TMF pourront continuer à faire un va-et-vient entre les deux pays, mais plus question d'en émettre des nouvelles.
Mesures sécuritaires
Le gouvernement a annoncé le déploiement de plus de 2 000 soldats sur la frontière et la création d'un Groupe Spécial Migratoire (GEM), qui sera, entre autres, chargé d'accentuer les contrôles et de veiller aux «troubles à l'ordre public». Récemment arrivés en Colombie, de nombreux Vénézuéliens dorment dehors (Libé du 13 janvier). L'annonce de la création, avec l'Organisation des Nations Unies (ONU), d'un centre migratoire d'une capacité d'hébergement de 2 000 personnes au plus important point de passage, semble bien dérisoire comparé au flot de migrants.
La situation est délicate pour le gouvernement colombien. «Nous n'avons pas l'expérience pour affronter une telle situation», a affirmé le président Santos à l'issue d'une réunion d'urgence à la frontière en présence de neuf ministres. Officiellement, selon Christian Krüger, directeur du service colombien des migrations, le pays compte déjà 600 000 Vénézuéliens, un chiffre qui pourrait dépasser le million d'ici à quelques mois. Officieusement, on parle de deux millions de Vénézuéliens – légaux et clandestins – dans le pays et de plus de cent mille personnes qui arrivent chaque mois sur le territoire colombien, certains pour y rester, d'autres en transit vers l'Equateur, le Pérou ou pour d'autres destinations plus lointaines. Une pression migratoire difficile à supporter pour n'importe quelle nation. Pour la Colombie, la situation est d'autant plus compliquée que le pays, où sévissent encore des groupes armés (guérilla de l'armée de libération nationale, ex-paramilitaires, trafiquants), peine déjà à prendre en charge ses propres déplacés internes.
Les mesures annoncées, plus sécuritaires qu’humanitaires, vont rendre les populations qui fuient le Venezuela encore plus vulnérable, les poussant dans les mains des passeurs, des trafiquants, des groupes criminels et de l’économie informelle… De nombreuses questions restent encore sans réponses. Ainsi, quid des demandeurs d’asile sans passeport par exemple ? Seront-ils refoulés. Expulsés ? Que vont devenir les malades qui allaient se soigner en Colombie, les populations qui survivaient en traversant la frontière ?
A la suite des mesures annoncées par le gouvernement de Juan Manuel Santos, survenant au lendemain de la visite du Secrétaire d'Etat américain dans la région, se pose la question de savoir si l'augmentation de la pression contre le régime de Nicolás Maduro n'entre pas dans une stratégie politique régionale à quelques semaines d'une élection présidentielle pour le moins controversée. En attendant, le drame de la population vénézuélienne ne va pas s'arrêter là. Dans un communiqué daté du 9 février, l'ONU dénonce des «conditions de vie alarmantes qui s'aggravent au Venezuela» précisant, entre autres, que cinq ou six enfants meurent de dénutrition par semaine.