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Libération
Justice

Attentat de Stockholm: un procès, un suspect principal, et des zones d'ombres

L'auteur présumé de l'attaque au camion bélierqui a fait 5 morts en avril a reconnu les faits.
Un dessin de l'audience du 13 février à Stockholm lors du procès de Rakhmat Akilov. (Johan Hallnas. AFP)
publié le 13 février 2018 à 17h25
(mis à jour le 13 février 2018 à 18h30)

Un tunnel rejoint directement la prison dans laquelle est confiné Rakhmat Akilov, accusé d’acte terroriste et du meurtre de 5 personnes, à la salle en sous-sol du tribunal de Stockholm, où son procès ultra-sécurisé s’est ouvert ce matin. Un procès hors norme à de nombreux égards: le premier pour terrorisme sur le sol suédois, avec 155 plaignants, dont les familles des cinq victimes et d’autres qui ont échappé de justesse à l’embardée folle du camion volé que le demandeur d’asile radicalisé a lancé à 60 km/h sur près de 500 mètres dans une grande rue piétonne de Stockholm le 7 avril 2017.

Le procès doit éclaircir les liens entre Rakhmat Akilov, 40 ans, qui appartient à la minorité tadjik d'Ouzbékistan et l'Etat islamique. Pantalon vert et veste polaire, l'homme a plaidé coupable dès l'ouverture du procès. Il a toujours assuré avoir agi seul, mais a affirmé lors de l'enquête vouloir infliger des pertes à la population suédoise pour que le pays «réfléchisse à ses actions quand il investit des millions de dollars dans la guerre contre l'Etat islamique». S'il avait prêté allégeance au groupe jihadiste la veille de l'attentat, l'organisation terroriste n'a jamais émis de revendication.

Doutes

Le parquet a assuré ce mardi matin que l’enquête avait permis de mettre au jour 209 conversations à partir des 53 différentes cartes SIM du téléphone de l’accusé, sur des services de messageries comme WhatsApp, l’application russe Telegram ou Viber. Un homme en particulier, originaire du Daghestan et qui répond au pseudonyme d’Abu Fotima, est considéré comme son influence principale. Il est internationalement recherché par Interpol pour terrorisme, selon une enquête conduite par l’agence de presse suédoise TT.

Lors des échanges en russe entre les deux hommes, Akilov, qui se fait appeler «Sabr» («patience» en arabe), doute alors que la Suède soit une cible justifiée: «Ils ne font pas partie de l'Otan et n'ont pas de militaires au combat», écrit-il fin mars à Abu Fotima. «En plus, il y a énormément de réfugiés ici, musulmans et non-musulmans. Après mon martyr, ce sera plus difficile pour eux.» Dans un autre message, Akilov demande à Abu Fotima s'il pense qu'il devrait mourir en martyr à Stockholm. La réponse: «Tu es croyant ! Déclare la guerre aux non-croyants autour de toi. Qu'ils soient convaincus de ta cruauté.» Finalement, Akilov survivra à l'explosion d'une bombe composée de 5 bouteilles de gaz et de clous qu'il avait disposée dans la cabine du camion. Il s'était engouffré dans une station de métro pour être arrêté quelques heures plus tard au nord de Stockholm.

Ombres

Ces interrogations en rajoutent au caractère «inhabituel» de Rakhmat Akilov, tel que le qualifie Mia Sandros, avocate suédoise spécialisée en terrorisme. L'accusé a par exemple toujours refusé de regarder les vidéos de témoins de ses attaques, jusqu'à la projection d'une vidéo dans la salle d'audience le matin du 13 février, durant laquelle il a plusieurs fois détourné les yeux. «On m'a demandé si cela pouvait signifier qu'il regrettait, mais c'est difficile à déterminer, d'autant plus qu'il a aussi démontré une volonté de parler de ses actions», analyse Mia Sandros. En effet, le terroriste présumé a confirmé sa culpabilité dès le premier interrogatoire, et s'est montré particulièrement affable tout au long de l'enquête. De nombreuses zones d'ombre subsistent, que trois journées entières, du 20 au 22 février, devront tenter d'éclaircir.

Les révélations de ce procès seront particulièrement scrutées en cette période préélectorale en Suède, où la sécurité nationale est un enjeu majeur. La Suède n’avait jusque-là été visée qu’une seule fois par un attentat jihadiste: en décembre 2010, un homme avait mené une attaque suicide à la bombe, dans le centre de Stockholm. Il avait légèrement blessé des passants. Le dossier Akilov a déjà révélé de nombreuses possibles failles du système de sécurité suédois. L’homme avait été débouté de sa demande d’asile et aurait dû quitter la Suède dès janvier 2017. De plus, les services de renseignement suédois (Säpo) ont confirmé avoir commencé à le surveiller en août 2016 à la suite d’indices suggérant qu’il représentait un risque potentiel, mais ont abandonné, faute de preuves, le dossier le 19 janvier 2017. Au moment même où l’accusé commençait à préparer son attaque. Le procès doit se terminer le 9 mai, et le verdict être rendu avant les festivités suédoises de Midsommar, le 22 juin.