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Diplomatie

L’Union européenne angoissée par les Balkans

Les Vingt-Huit cherchent à stabiliser économiquement et politiquement la région avant d’éventuelles adhésions à l’Union.
Sommet Paris - Balkans, le 4 juin 2016 à l'Elysée. (AFP)
par Jean Quatremer, Correspondant à Bruxelles
publié le 15 février 2018 à 20h26

Près de vingt-cinq ans après la fin de la guerre civile dans l’ex-Yougoslavie, la région demeure une poudrière : non seulement les cicatrices sont toujours à vif, entretenues par un nationalisme virulent, mais les ingérences étrangères, qu’elles soient russes, turques, qataries, saoudiennes ou même chinoises, se multiplient. L’Union européenne s’inquiète de la stabilité précaire des Balkans, un backyard («une arrière-cour») enchâssé en son sein, et ce d’autant plus qu’avec les retraits américain et britannique, elle est désormais seule à la manœuvre, comme on le souligne à la Commission. Le 6 février, cette dernière a donc proposé, dans une «communication», d’aider au développement de l’économie et de l’Etat de droit, mais aussi d’offrir «une perspective d’élargissement crédible» à ces six petits pays (Serbie, Monténégro, Macédoine, Bosnie, Albanie et Kosovo) pour les encourager à faire les réformes nécessaires.

Réticences. Le premier volet, destiné à stabiliser économiquement et politiquement la région, y compris en luttant contre le crime organisé, la corruption, la radicalisation ou encore l’immigration illégale, ne pose aucun problème et devrait être acté en mai lors du sommet de Sofia entre les Vingt-Huit et les pays des Balkans. «Nous devons garantir la sécurité des Balkans parce qu’il en va de la sécurité de l’Europe dans son ensemble, a rappelé le 6 janvier devant le Parlement européen le Premier ministre bulgare, Boïko Borissov, dont le pays assure la présidence semestrielle tournante du Conseil des ministres de l’UE. Si nous ne les aidons pas, d’autres le feront. Je pense à la Russie, à l’Arabie Saoudite, à la Chine.»

En revanche, la perspective d'un élargissement rapide à ces pays suscite une forte réticence, et c'est un euphémisme, parmi les Vingt-Huit. La Commission évoque même «l'horizon 2025» pour l'adhésion du Monténégro et de la Serbie, qui ont déjà commencé à négocier (en 2010 pour le premier, en 2011 pour la seconde). Un haut fonctionnaire de l'exécutif européen insiste sur le fait qu'il s'agit d'une «date indicative et que plus probablement, ce sera en 2030». Mais il reconnaît «qu'il y a une claire majorité des Etats membres qui sont opposés à un nouvel élargissement. A vrai dire, il n'y a que le Royaume-Uni qui y est totalement favorable, mais il s'en va».

Pour un diplomate de haut rang, cette «fatigue de l'élargissement» n'est pas aussi générale que cela : «La Hongrie, la Slovaquie ou la République tchèque sont favorables à une adhésion rapide de ces pays.» Reste qu'il s'agit d'une petite minorité et que Sofia en a bien conscience : Borissov veut donc séparer les deux aspects du «paquet» de la Commission en renvoyant au sommet de juin la question des adhésions. «Mêler l'élargissement à la stabilisation est une erreur», estime un diplomate français : «La perspective européenne que l'on a offerte à ces pays est différente du processus d'adhésion qui obéit à une mécanique bien précise fixée en 1993.» Surtout, «citer une date crée une attente du côté des candidats et une pression politique sur nous», poursuit-il, «ce qui peut conduire soit à des déceptions, soit à un élargissement bâclé».

Cela étant, la Commission, chargée de mener les négociations d'élargissement, est infiniment plus rigoureuse que par le passé : plus question, comme avec la Bulgarie et la Roumanie (qui ont adhéré en 2007), de renvoyer à la fin les sujets les plus difficiles, comme l'Etat de droit, la corruption ou les conflits frontaliers. Cette fois, ce sont des préalables. Or «il y a un univers entre ce qu'ils doivent faire et là où ils en sont effectivement», affirme un diplomate de haut rang. C'est notamment le cas de la Serbie, que personne n'entend laisser adhérer sans que la question du Kosovo ne soit définitivement réglée : «L'Union ne saurait importer des conflits bilatéraux et ne le fera pas», insiste ainsi la communication de la Commission. Le précédent de Chypre, mais aussi celui de l'Espagne avec Gibraltar, sont dans toutes les mémoires. Sans compter les questions de la Bosnie, où la Croatie et la Serbie jouent un rôle non négligeable, et de la Macédoine, dont le nom est contesté par la Grèce, même si les deux pays semblent désormais prêts au compromis.

«Explosion».Mais pour la Commission, seul l'élargissement permettra de «résister durablement aux tentatives d'infiltration des puissances étrangères : l'Union apporte un écosystème qui la rend plus difficile», explique le haut fonctionnaire déjà cité. «On le voit bien dans les Etats d'Europe centrale et orientale : seule la Hongrie est clairement prorusse.» En outre, «les Européens savent très bien qu'on ne peut pas claquer la porte au nez des Balkans, sinon c'est l'explosion».

La plupart des Etats en conviennent, tout en soulignant que cela impliquera une réforme préalable de l’UE pour éviter qu’elle ne s’effondre sous son propre poids : réduction de la taille de la Commission, rééquilibrage du Parlement européen au profit des grands Etats, extension du vote à la majorité qualifiée (fiscalité, social, etc.), voire création d’avant-gardes, comme le souhaite Emmanuel Macron. Une autre bataille qu’il ne va pas être facile de mener, même sans le Royaume-Uni.