Menu
Libération
Éditorial

Donald Trump, l’antisociologue

publié le 16 février 2018 à 20h16

Le «sociologisme», voilà l’ennemi. Un certain nombre de beaux esprits se sont récemment insurgés contre ce penchant, courant à gauche, qui tend à expliquer la délinquance ou le terrorisme par des causes sociales, ou sociologiques. C’est la culture de l’excuse, disent-ils, qui nie la responsabilité individuelle et rend la société coupable des méfaits commis par certains de ses membres.

Ces «antisociologues» viennent de recevoir un renfort de poids en la personne de Donald Trump. Réagissant au nouveau massacre à l’arme à feu perpétré dans un lycée de Floride, le président américain a invoqué, comme il l’avait déjà fait lors de la fusillade meurtrière de Las Vegas, la santé mentale du tueur. Ce qui lui permet de passer sous silence la question de la vente libre des armes à feu, une des plaies de la société américaine. Point de «sociologisme», donc, dans le diagnostic de Trump. La prolifération des armes et la culture de la violence qui sévissent aux Etats-Unis n’ont rien à voir avec ces massacres. Ces folles tueries sont seulement imputables à la folie des tueurs.

Pourtant, le sociologisme chassé de la parole trumpienne revient par la fenêtre : il y a donc, selon Trump, beaucoup plus de dingues aux Etats-Unis qu’ailleurs, puisque les Etats-Unis sont, parmi les pays développés le pays où ces faits sinistres se reproduisent le plus souvent, et de loin. Les mauvais esprits, il y en a, prolongeront le verdict présidentiel en remarquant que tout cela n’a rien d’étonnant, puisque c’est le même pays qui a porté un dingue à la Maison Blanche. Sociologisme de la dinguerie…

Pour redevenir sérieux, on confond dans ce débat récurrent deux niveaux, celui de l’individu et celui de la société. A part quelques militants exaltés, personne ne nie la responsabilité personnelle des auteurs de crimes ou de délits. Leurs antécédents sociaux ou familiaux peuvent, tout au plus, jouer le rôle de circonstance atténuante, laissée à l’appréciation des juges. La pauvreté favorise les comportements illégaux, disent les sociologues, mais la majorité des pauvres ne sont pas délinquants : le choix individuel reste déterminant et met en jeu la responsabilité des criminels, qui en répondent devant la justice.

Il faut en revanche être aveugle pour ne pas voir que les facteurs sociaux ou culturels jouent leur rôle à l’échelle de la collectivité. Un Etat digne de ce nom doit en tenir compte. Selon qu’on mène une politique ou une autre, selon que l’on accepte ou non la misère et l’inégalité sociale, on favorise ou non la délinquance. Aux Etats-Unis, comme l’a rappelé Barack Obama réagissant aux propos de Trump, selon que l’on approuve ou non la vente libre des armes et la culture de la violence qui l’accompagne, on porte une responsabilité dans la multiplication des tueries de masse. Le sociologisme est parfois caricatural. Mais l’antisociologisme est absurde.