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Libération
Récit

Bolivie: deuxième anniversaire d’un référendum bafoué par Evo Morales

Il y a deux ans, les Boliviens répondaient «non» à la possibilité d'un quatrième mandat pour l’actuel président, Evo Morales. Un résultat négatif que ce dernier a choisi d’ignorer : il compte se représenter en 2019. De La Paz à Paris, des Boliviens protestent.
Le président bolivien, Evo Morales, le 21 mars 2017 à La Paz. (Photo AIZAR RALDES. AFP)
par Malaurie Chokoualé
publié le 21 février 2018 à 15h19
(mis à jour le 27 février 2018 à 17h28)

Le «21F» ou 21 février 2016, l’actuel président bolivien Evo Morales (MAS, Mouvement pour le socialisme) avait lancé un référendum sur une possible réforme constitutionnelle. Selon la Constitution bolivienne, un référendum, qu’importe le résultat, est au-dessus de toute décision ou opinion.

L’idée de cette consultation historique était de lui permettre de briguer un quatrième mandat de cinq ans en modifiant la Constitution de 2009, qui n’en autorise que deux. Avec 84% de participation, le «non» l’avait emporté à 53,3%, chose qu’Evo Morales a finalement décidé d’ignorer. Il devrait se présenter aux élections en 2019.

Mobilisation internationale

Deux ans après ce référendum, ce dernier occupe toujours les mémoires et pas seulement en Bolivie. A Londres, Madrid, Milan ou Paris, des groupes de militants se rassemblent pour crier leurs droits et appeler à l’éviction d’Evo Morales des hautes sphères du pouvoir.

A grand renfort d'affiches explicatives et pédagogiques, le groupe Activistas bolivianos en Francia était présent samedi dernier place de la République à Paris. Depuis novembre, ces militants se réunissent régulièrement pour échanger et trouver de nouveaux plans d'actions pour faire connaître la situation bolivienne. Une quarantaine de personnes haranguait les passants pour décrire une situation à La Paz qu'ils disent préoccupante.

Ils intensifient depuis quelques mois le nombre de leurs réunions et cherchent à informer sur ce pays trop souvent oublié. Sans faire de vagues. «Il y a une culture de la manifestation violente en Amérique du Sud. A chaque fois qu'on résout un conflit on le fait de manière violente, et il ne se résout jamais totalement. Nous sommes une génération qui veut changer ça et agir différemment», explique Marie Coq, franco-bolivienne et coordinatrice du mouvement en France.

Leurs missions en tant qu'expatriés les amènent ainsi plus souvent à détailler la situation de leur pays d'origine qu'à hurler des slogans. «Nous avons plus de ressources médiatiques que les Boliviens restés au pays. Notre rôle est donc de sensibiliser, d'informer la communauté internationale. C'est pour cela que nos manifestations sont très informatives. Cela a beaucoup plus d'impact que de sortir dans la rue en criant "On veut la démocratie!". Les gens posent des questions et nous écoutent d'autant plus.»

Polarisation

D’origine rurale et modeste, Evo Morales se revendique comme le premier président amérindien du pays et a été depuis le début particulièrement soutenu par le monde paysan. Lors de son élection, pour les Boliviens comme pour le monde entier, il avait cette image de «défenseur de la Pachamama», de représentant des autochtones et de l’environnement.

Très vite, le président bolivien a divisé. Selon Alice Campaignolle correspondante pour RFI à La Paz, c'est de pire en pire. «Plus on se rapproche de 2019 [et des élections], plus on va vers un débat polarisé [entre les pro et les anti-Evo Morales]. Une chose est certaine, le soutien qu'il reçoit n'est plus du tout citadin, et le pays est petit à petit en train de se retourner contre Evo.»

Certains saluent une économie croissante, une diminution de la pauvreté et la mise sur le devant de la scène des populations amérindiennes et paysannes. Ces améliorations sont jugées trop faibles par d’autres, qui pointent la corruption toujours aussi généralisée, la justice notoirement véreuse et le peu de considération accordée à l’égalité des genres, à la santé, à l’éducation et à l’environnement. Et le fait qu’il soit candidat pour un quatrième mandat.

Evo Morales, proche de l’inconstitutionnalité

Alors que la Constitution bolivienne n’approuve que deux mandats consécutifs, Evo Morales a été élu à la majorité absolue en 2005, 2009 et 2014. En effet, selon une décision du Tribunal constitutionnel, son premier mandat ne comptait pas car la Bolivie n’est devenue plurinationale qu’avec la nouvelle Constitution de 2009.

Le parti d’Evo Morales (MAS) évaluait depuis deux ans les solutions pour contourner légalement le résultat du référendum de 2016. Le 29 novembre 2017, ce même Tribunal a finalement donné son assentiment, comme en 2014. Il a estimé que le droit de se porter candidat pour un mandat était supérieur aux limites de la Constitution.

Interrogé en novembre sur cette décision, le politologue bolivien Carlos Cordero la déclare comme étant «la démonstration que les tribunaux boliviens sont soumis au pouvoir». Car si les membres des grandes instances judiciaires sont élus, ils sont sélectionnés au préalable par l'Assemblée à majorité du MAS. La question de l'indépendance de la justice est ainsi régulièrement soulevée.

Une dictature?

Pour Alice Campaignolle, la Bolivie de Morales n'est toutefois pas encore un régime dictatorial. «Elle prend un virage autoritaire certain, mais ce n'est pas une dictature à proprement parler. Evo Morales a été élu et je peux quand même faire mon travail [en dépit des pressions exercées sur la presse, ndlr]. Nous ne sommes pas encore dans une dictature.»

L'activiste franco-bolivienne Marie Coq est d'un autre avis: «A partir du moment où la Constitution dit que tu ne peux être élu que deux fois et que tu essaies par la force de te porter candidat une quatrième fois, il y a un problème. Le problème est qu'il n'existe pas aujourd'hui de véritable figure dans l'opposition.»

Ce 21 février, de nombreux événements ont lieu en Bolivie comme en Europe pour exiger le respect du référendum. Des opérations de «villes mortes» (ou paros cívicos) sont organisées avec des routes bloquées, des grèves et des défilés. A Paris comme ailleurs en Europe, Marie Coq et d'autres militants continueront inlassablement à informer et sensibiliser le public sur leur cause, cette fois-ci sous les fenêtres de leur ambassade.