En trois jours à peine, ils avaient déjà trouvé un nom pour leur mouvement : Never Again («Plus jamais»). Un programme : des vérifications d'antécédents plus strictes pour les acquéreurs d'armes à feu. Un répertoire d'actions : lie-in, rassemblements, marches, comme celle prévue le 24 mars à Washington. Des porte-parole, dont le visage juvénile est apparu sur toutes les télés. Des soutiens logistiques : les leaders de la Women's March et du mouvement Indivisible, très actifs depuis l'élection de Trump. Et financiers : George Clooney, Oprah Winfrey et Steven Spielberg ont promis 500 000 dollars (environ 400 000 euros) chacun pour l'organisation de la marche à Washington. Les lycéens de Marjory Stoneman Douglas à Parkland (Floride), rescapés de la fusillade de mercredi au cours de laquelle un ancien élève a tué 17 personnes, ont tellement bien structuré leur réponse que l'indignation et l'attention médiatique sur la tragédie et ses causes ne sont pas retombées, une semaine plus tard. Ce mercredi, de nombreux élèves à travers la Floride et jusque dans le Maryland ont quitté leur salle de classe en signe de solidarité.
«Apolitiques». Ces adolescents de la génération post-Colombine sont, quasiment du jour au lendemain, devenus les héros des partisans du contrôle des armes à feu, dans un pays qui a connu 239 fusillades dans ses écoles depuis celle de Sandy Hook (20 enfants et 7 adultes tués en 2012), selon l'ONG Gun Violence Archive. Des millenials pour contrer l'orthodoxie résignée et cynique qui entoure tout débat sur les armes à feu dans le pays ? Avec ses cheveux rasés, ses larmes et son discours ponctué de «bullshit» («connerie») pour balayer les arguments des pro-armes et notamment de la puissante National Rifle Association (NRA), Emma Gonzalez a bouleversé l'opinion publique américaine. «Nous allons être la dernière tuerie de masse», a promis cette rescapée au micro, samedi, lors d'un rassemblement à Fort Lauderdale. «Soit vous êtes avec nous, soit vous êtes contre nous», a-t-elle asséné en s'adressant aux politiques. «Nous sommes les enfants, vous êtes les adultes. Vous devez agir et jouer un rôle. Travaillez ensemble, surmontez vos divisions, et faites enfin quelque chose», a pour sa part imploré David Hogg, 17 ans, autre figure de proue de Never Again.
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Ces nouveaux militants qui se décrivent comme «apolitiques» (et qui n'ont, pour la plupart, pas encore l'âge de voter), veulent faire de leur traumatisme le moteur cathartique de leur mobilisation. La presse américaine les décrit en jeunes de bonne famille, qui grandissent dans des gated communities, ces zones pavillonnaires closes et protégées. Des jeunes «très soudés, très éduqués», qualifie Christine Yared, 15 ans (lire son témoignage ci-contre). Leur aisance à l'oral, ils la tireraient des cours de théâtre qu'ils suivent au lycée Marjory Stoneman Douglas.
Théories fumeuses. Mais leur aura médiatique et leur message articulé n'ont pas tardé à attirer les foudres de certains sites et éditorialistes d'extrême droite, à l'instar des inénarrables Rush Limbaugh et Alex Jones, ou du non moins conspirationniste TheGatewayPundit, un site qui s'est notamment illustré pendant la campagne de 2016 pour avoir propagé de nombreuses intox sur Hillary Clinton. Ceux-ci les décrivent comme des pantins coachés par les anti-armes, manipulés par le Parti démocrate, voire comme des faux nez du FBI (le père de David Hogg est un agent retraité). Certains les font même, toujours sans preuve, passer pour des «figurants» qui traverseraient le pays de fusillade en fusillade, pour souffler sur les braises… Ces théories fumeuses trouvent néanmoins un certain écho sur les réseaux sociaux, et sont même relayées sur certains plateaux télé (jusqu'à CNN, via un commentateur extérieur vite mouché par la présentatrice).
Ces tentatives de décrédibilisation ne seront pas, loin de là, les seules épreuves que devront surmonter ces jeunes. Mardi, soit moins d'une semaine après la tuerie, le Parlement de Floride a voté contre l'examen d'un texte visant à interdire dans l'Etat la vente de fusils semi-automatiques de type AR-15, utilisés à Parkland et dans de nombreuses tueries. Donald Trump a cependant donné un gage modeste à ces néomilitants. Mardi, il a signé une directive adressée au ministère de la Justice pour demander l'interdiction des bump stocks, qui permettent aux fusils de tirer en rafales quasi automatiques. Un écran de fumée, disent les partisans d'un contrôle plus ferme. Et l'unique mesure soutenue par la NRA.