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Etats-Unis

Les élus dans la ligne de mire de la NRA

Mis en cause après chaque tuerie, le lobby des armes, outre ses moyens financiers, peut compter sur le zèle de ses 5 millions de membres pour faire pression sur les politiques.
Au congrès de la NRA à Nashville en 2015. (Photo Daniel Acker. Bloomberg. Getty)
publié le 21 février 2018 à 21h06

Le scénario est écrit d'avance : après chaque fusillade de masse aux Etats-Unis, les sempiternelles «pensées et prières» laissent rapidement place à la colère. Et à la désignation des coupables. Parmi ceux pointés du doigt, hormis le(s) tireur(s), deux cibles reviennent systématiquement : la NRA, puissant lobby des armes, et les élus à qui elle apporte son soutien. Notamment financier.

«A tous les hommes politiques ayant reçu des dons de la NRA, honte à vous !», a ainsi lancé Emma Gonzalez, l'une des survivantes du drame de Parkland. «Si le président me dit en face que c'était une terrible tragédie et qu'on ne peut rien y faire, je lui demanderai combien il a touché de la National Rifle Association. Mais vous savez quoi ? Peu importe, car je le sais déjà : 30 millions de dollars [environ 24 millions d'euros, ndlr]», a martelé la lycéenne de 18 ans dans un discours rageur devenu viral.

Chaque année, la NRA distribue des millions de dollars à des élus et des candidats, républicains pour l’immense majorité. Elle finance également une nuée de publicités politiques. Lors des élections de 2016, l’organisation a dépensé plus de 54 millions de dollars (44 millions d’euros), dont 30 pour soutenir Donald Trump. Les détracteurs de la NRA, comme Emma Gonzalez, dénoncent une forme de corruption légale. Leur raisonnement semble solide : le lobby des armes finance généreusement les républicains qui, en échange, s’opposent à tout durcissement de la législation.

La réalité est toutefois plus complexe. Quoiqu’élevées, les dépenses politiques de la NRA demeurent dérisoires comparées à d’autres secteurs (industrie pharmaceutique, énergie, assurances, santé, finance). L’exemple de Marco Rubio est révélateur. Après la fusillade survenue dans son Etat de Floride, le sénateur républicain a fait part de son émotion sur Twitter. Aussitôt, il a été taxé d’hypocrisie pour avoir reçu plus de 3 millions de dollars de la NRA depuis le début de sa carrière. C’est beaucoup, certes. Mais ce n’est que 3 % du total des dons qu’il a récoltés. Insuffisant pour expliquer son alignement quasi systématique sur les positions de la NRA.

Tournois de tir pour enfants

Sur quoi, alors, repose la puissance de l'organisation, fondée en 1871 ? «Ce n'est pas l'argent qui rend la NRA unique, mais le fanatisme idéologique de ses membres, qui font preuve d'un degré élevé d'engagement politique», explique à Libération Robert J. Spitzer, politologue et auteur de nombreux livres sur les armes. Avec 5 millions d'adhérents, dont beaucoup le sont à vie, la NRA dispose d'un vaste réseau de militants qui «donnent de l'argent aux politiques, leur écrivent des courriers et participent à des réunions», ajoute Spitzer.

Obsédés par les armes et la défense du deuxième amendement de la Constitution, nombre de membres de la NRA votent «uniquement en fonction de cette question», dit l'enseignant. Pour aiguiller leur choix, l'organisation évalue tous les élus et candidats, selon le système de notation à l'américaine, de A à F. La note maximale (A+) est réservée aux politiciens qui ont «combattu vigoureusement pour promouvoir et défendre le droit de garder et porter des armes». A chaque cycle électoral, la NRA envoie à ses adhérents un document confidentiel recensant les notes de chaque candidat à un poste électif, local ou fédéral. De quoi refroidir les élus modérés tentés par un durcissement, même léger, de la loi.

Pour nourrir le militantisme de ses membres, la NRA entretient en outre des liens étroits avec eux. Elle propose des formations au maniement des armes, organise des conventions et des tournois de tir sportif, notamment pour enfants, le tout avec le soutien financier des fabricants d'armes. L'organisation publie également plusieurs magazines et dispose depuis fin 2016 de sa propre chaîne de télévision. Formidable outil de propagande, NRA TV diffuse un mélange de talk-shows et d'émissions de télé-réalité. En filigrane, les programmes relaient le message clé de l'organisation : les élites démocrates veulent priver les honnêtes citoyens de leurs armes et de leur droit à se défendre. Le contenu se veut aussi «pédagogique» : début janvier, un épisode expliquait ainsi, ralentis et effets spéciaux à l'appui, comment abattre sereinement un tueur faisant irruption dans une salle de cinéma. Un tutoriel en parfaite harmonie avec l'un des leitmotivs de la NRA : «Seul un gentil avec une arme peut stopper un méchant avec une arme.»

Armer les enseignants

Après la tuerie de la semaine dernière, ce refrain a de nouveau été entonné par ceux qui réclament une législation encore plus permissive. L'énorme campus de Parkland, où étudient 3 000 lycéens, disposait d'un garde de sécurité armé. Trop loin du lieu des tirs, il n'a pas pu intervenir. «Un garde armé n'est pas suffisant quand chaque seconde compte», a commenté Grant Stinchfield, l'un des animateurs vedettes de NRA TV. Il a ensuite fait la promotion du très controversé programme School Shield, élaboré en 2013 par la NRA après le carnage dans l'école primaire Sandy Hook. Ce programme suggère de poster un vigile dans chaque bâtiment scolaire, d'armer et former les enseignants volontaires et de renforcer les installations. «Nous avons besoin de salles de classe avec des portes si robustes qu'elles en deviennent impénétrables, a tonné Grand Stinchfield. Pour faire des salles de classe un lieu sûr. Comme un cockpit d'avion.»