Menu
Libération
Royaume-Uni

La présidente du Sinn Fein : «L'Accord de paix de 1998 et le Brexit sont incompatibles»

Mary Lou McDonald, qui vient de succéder à Gerry Adams, souhaite un retour rapide à un exécutif partagé en Irlande du Nord et s'inquiète des éventuelles atteintes à l'Accord de Paix dans le cadre du Brexit.
Mary Lou McDonald à Londres, le 22 février. (Photo Daniel Leal-Olivas. AFP)
publié le 24 février 2018 à 9h37

Elle est, depuis le 10 février, la nouvelle présidente du parti républicain du Sinn Fein. Mary Lou McDonald a succédé à Gerry Adams qui dirigeait le parti depuis 1983. Un héritage lourd à porter mais qu'elle balaye d'un résolu «un héritage lourd, certes, mais je vous garantis que j'arrive aussi avec le mien». A 48 ans, elle est aussi une Teachta Dàla (TD-députée) pour la circonscription de Dublin-Centre. Les négociations entre le Sinn Fein et le parti nord-irlandais unioniste du DUP pour rétablir le pouvoir exécutif au parlement semi-autonome d'Irlande du Nord, vacant depuis quatorze mois, viennent une nouvelle fois d'échouer. L'accord de paix du 10 avril 1998, qui a mis fin à trente ans de guerre civile et plus de 3 500 tués, prévoit un partage équitable du pouvoir entre les partis unionistes protestants (favorables au maintien de l'Irlande du Nord au sein du Royaume-Uni) et les partis républicains catholiques (qui souhaitent à terme un rattachement à la République d'Irlande au Sud).

Mary Lou McDonald s'est confiée jeudi à Londres à un groupe de journalistes étrangers, dont Libération.

Après quatorze mois de vacance du pouvoir en Irlande du Nord, les négociations ont à nouveau échoué la semaine dernière, que s’est-il passé ?

Nous avions réussi à trouver des solutions avec le DUP et nous avions même rédigé un accord, mais le DUP n’a pas réussi à aller au-delà et à l’adopter. Je le regrette.

Qui est à blâmer ?

Je ne suis pas là pour accuser quiconque ou jouer au jeu de qui a tort. Mais nous nous battons pour des droits basiques pour les citoyens d’Irlande du Nord, dont d’autres, en République d’Irlande ou au Royaume-Uni, jouissent. Il s’agit de la reconnaissance de la langue irlandaise, du mariage pour tous et du droit des familles des victimes des Troubles à obtenir une enquête sur les circonstances de la mort des leurs.

Vous avez rencontré ce jeudi la Première ministre britannique Theresa May au 10, Downing Street. Arlene Foster, dirigeante du DUP, dont les 7 députés au parlement de Westminster assurent la majorité aux conservateurs de Mme May, était présente. Qu’est-il sorti de cette rencontre ?

J’ai quitté la réunion déçue et alarmée. Il y a quatorze mois que l’exécutif a été suspendu en Irlande du Nord ! Nous avons besoin d’un ferme leadership, d’un plan d’action, d’un échange de vues franc. Or, à ma grande déception, j’ai découvert en parlant à Theresa May que le gouvernement britannique n’a pas de plan, pas de stratégie, si ce n’est de nous dire : ‘il faut une période de réflexion’. Je ne suis pas sûre de ce que cela veut dire, mais je suis sûre que pour moi, il s’agit d’un appel à l’inertie. Et cela ouvre la voie à un vide dangereux où au lieu de s’arranger, la situation va s’aggraver encore plus. Nous approchons du vingtième anniversaire de l’Accord de paix en Irlande du Nord, c’est le moment de réagir décisivement.

Dans quelle mesure l’accord entre le DUP et le parti conservateur, pour assurer une majorité à Theresa May au parlement de Westminster, pèse-t-il dans les négociations ?

Il n’y a pas de doute que la confiance a été lourdement ébranlée. Dans certains esprits, toute idée d’impartialité a disparu. Et j’ai une inquiétude, que j’ai partagée avec Theresa May, et qui est qu’elle puisse mettre la pédale douce, voire complètement freiner, pour préserver cet accord gouvernemental.

Le DUP soutient le Brexit, le Sinn Fein est contre et l’Irlande du Nord a voté en faveur du maintien au sein de l’Union européenne à 55,8 %. Dans quelle mesure le Brexit a-t-il un impact sur la situation ?

La vérité est que l’Accord de Paix de 1998 et le Brexit sont incompatibles. C’est une attaque en son cœur. J’ai entendu certaines sirènes qui suggéraient que l’Accord de Paix devrait être renvoyé aux oubliettes parce qu’il n’est pas compatible avec un Brexit dur. Or, si je respecte la décision des Britanniques, le fait est que le pays reste terriblement divisé, que nous sommes du côté du choix démocratique des Irlandais du Nord et qu’il ne peut pas y avoir de frontière entre le nord et le sud de l’île d’Irlande. Ce serait une catastrophe, pour le commerce, pour le mode de vie des uns et des autres qui passent indifféremment du nord au sud, constamment. Dublin est d’accord avec cela, Michel Barnier aussi ainsi que l’ensemble de la famille européenne. Et Theresa May nous a assuré que son gouvernement restait fermement engagé à respecter l’Accord de Paix. La frontière invisible est justement un symbole de paix et d’une paix qui fonctionne.

Est-ce que finalement, pour résoudre ces problèmes de frontières, l’unification de l’Irlande, que vous appelez de vos souhaits, n’est pas la solution ?

Oui, c’est une solution évidente. Nous souhaitons toujours à 100% une unification de l’Irlande. Mais elle doit se faire dans le cadre d’un processus démocratique, recueillir un maximum de consensus. Nous reconnaissons que nous avons en Irlande du Nord une population unioniste opposée à cette idée, très fière d’être Britannique et nous devons respecter cela. Nous réalisons que nous devrons avoir un large débat sur la question. Mais je pourrais envisager un vote sur la question dans les dix ans. Mais à l’heure actuelle, le problème pour l’Irlande du Nord n’est pas le Brexit, c’est le retour à un exécutif partagé. Je demande à Theresa May de faire son devoir et de convoquer en urgence une conférence intergouvernementale entre Dublin et Londres pour régler la question.

Est-ce que vous reviendrez à la table des négociations ?

Evidemment ! Nous reviendrons nous asseoir. Les unionistes ne vont nulle part, nous n’allons nulle part. Les négociations sont comme la bicyclette, vous devez continuer à pédaler, sinon, vous risquez de tomber.