C'est un beau cadeau d'anniversaire que devrait s'offrir ce lundi Recep Tayyip Erdogan. Le jour de ses 64 ans, le président turc doit prendre part à un vol inaugural qui prendra fin sur la nouvelle piste du troisième aéroport de sa ville de cœur, Istanbul. Un peu moins de trois ans après le début des travaux, 80 % du gigantesque chantier seraient terminés et le gouvernement espère ouvrir une première partie de l'infrastructure le 29 octobre. Mais, déjà, les chiffres dantesques du «plus grand aéroport du monde» donnent le tournis : une superficie de 76 millions de mètres carrés - une plaie de béton dans l'un des derniers poumons verts de la région -, 150 millions de passagers annuels attendus et une promesse de 220 000 emplois crées.
Mais le 11 février, un autre chiffre est venu quelque peu gâcher l'enthousiasme d'Ankara : 400, comme le nombre d'ouvriers qui auraient perdu la vie depuis le début des travaux, affirme le quotidien d'opposition Cumhuriyet, citant un employé du chantier. Une information difficile à vérifier mais qui fait tache dans le discours officiel d'Erdogan, qui veut faire de cet aéroport «un monument de la victoire» pour la Turquie et ses habitants. L'exécutif turc n'a d'ailleurs pas tardé à réagir et, chiffres de la sécurité sociale à l'appui, a avancé un bilan réduit à 27 morts. Et le ministre du Travail de dénoncer une enquête «qui trompe le public». L'accès à l'article en ligne a été interdit mais le mal est fait : l'opposition s'est déjà saisie du dossier et a demandé des comptes au gouvernement islamo-conservateur de l'AKP.
Cependant, pour certains des quelque 30 000 salariés du site, l'information n'a pas de quoi surprendre. Cela ferait bien longtemps qu'on ne chercherait même plus à compter les morts sur le chantier. «Il y en a tellement, on s'habitue. Le décès d'un ouvrier dans un accident du travail n'est plus une nouvelle extraordinaire désormais», confie Gökhan (1), électricien trentenaire. Le sujet n'en reste pas moins tabou. Et une forme d'omerta règne. «Sur le chantier, si quelqu'un meurt à côté de toi et que tu en parles, on met ton nom sur une liste rouge et tu ne peux plus travailler sur les grands chantiers publics», avance même Mehmet, qui a travaillé plusieurs mois sur le site.
Du côté d’IGA, le consortium de cinq entreprises turques (dont Kalyon, géant du BTP et des médias, proche du pouvoir) qui a remporté l’appel d’offres pour la construction et la gestion de l’aéroport et pour la somme de 22 milliards d’euros, c’est pour l’instant le silence radio.
(1) Les prénoms ont été modifiés.