A Jérusalem, les Eglises ont gagné la première manche. Mardi, quarante-huit heures après la fermeture des lourdes portes du Saint-Sépulcre en protestation contre les initiatives fiscales et législatives israéliennes, le Premier ministre, Benyamin Nétanyahou, et le maire de Jérusalem, Nir Barkat, ont cédé. Au moins temporairement. Nétanyahou a annoncé le gel immédiat du prélèvement des taxes sur les biens «non cultuels» des Eglises, ainsi que la mise en place d’un comité ministériel pour trouver une issue à la crise. Il y avait urgence. En décidant dimanche d’interdire jusqu’à nouvel ordre l’accès à la basilique où, selon la tradition, le Christ fut inhumé avant sa résurrection, les treize Eglises de Terre sainte avaient pris une mesure drastique et rarissime. A l’entrée du Saint-Sépulcre, une affiche avait été déployée : «Trop c’est trop. Stop à la persécution des Eglises.»
C'est le patriarche grec orthodoxe, Théophile III, encadré de son homologue apostolique arménien, Nourhan Manougian, et du custode de Terre sainte, le catholique franciscain Francesco Patton, qui a énoncé les raisons du courroux des chrétiens envers les autorités. En premier lieu, les ecclésiastiques s'indignent des impôts municipaux, l'arnona, que veut leur imposer rétroactivement le maire, Nir Barkat, affilié au Likoud (droite), le parti de Nétanyahou.
Statu quo
Jamais, que ce soit sous l’Empire ottoman, le mandat britannique ou le régime jordanien, les Eglises n’ont été soumises à de tels prélèvements, insistent les religieux. La mairie répond qu’elle entend taxer uniquement les propriétés non cultuelles (hospices, magasins de souvenirs, auberges, écoles…) du patrimoine mirifique des Eglises, et notamment celui du patriarcat grec orthodoxe, devenu, après 1948, le deuxième plus gros propriétaire terrien d’Israël. La Knesset, par exemple, a été construite sur un terrain loué au patriarcat.
Le 4 février, par communiqué, la mairie a ainsi réclamé 152 millions d'euros d'arriérés de paiement pour les sept dernières années. «Pendant des siècles, l'Eglise a été exemptée d'impôts sur le principe tacite qu'elle pourvoit aux services sociaux que la ville ne peut couvrir, argumente Farid Jubran, conseiller juridique des franciscains. Soudainement, les Israéliens mettent fin au statu quo. On peut négocier des aménagements, mais ce ne sont pas des manières de faire !» Dans la foulée, le maire a ordonné le gel des comptes bancaires de certaines Eglises pour commencer à y prélever sa taxe, à hauteur de 20 millions de shekels (4,65 millions d'euros). Barkat estime que les habitants de Jérusalem – dont seulement un tiers a des revenus suffisants pour contribuer à l'impôt – ne peuvent supporter seuls la dette de la ville. Les prélats alertent sur les conséquences sociales d'un tel bouleversement, rappelant qu'à Jérusalem les centaines d'institutions chrétiennes emploient 70 % des Arabes chrétiens de la ville et offrent des centaines de logement à des familles chrétiennes défavorisées.
L'autre cause de l'ire des prélats est un projet de loi poussé à la Knesset par la députée Rachel Azaria, du parti Koulanou (centre droit, dans la coalition au pouvoir). Ce texte entend autoriser la préemption par l'Etat des terres vendues par les Eglises à des sociétés immobilières privées. Pour les autorités religieuses, ce projet «rendrait possible l'expropriation [de leurs terres]». En coulisse, elles craignent surtout que la mesure dissuade les potentiels acheteurs dont elles dépendent pour régler leurs problèmes de trésorerie.
«Discriminatoire»
Ces dernières années, le patriarcat orthodoxe grec s'est renfloué en vendant une cinquantaine d'hectares de terrain à Jérusalem-Ouest et des propriétés dans la Vieille Ville, dans des conditions controversées. Ces ventes ont provoqué la colère des Palestiniens qui craignent de voir des Juifs s'installer dans les quartiers chrétiens de la Vieille Ville. Rachel Azaria assure vouloir seulement protéger les habitants face au risque de spéculation et d'expulsion. Les Eglises dénoncent un projet «discriminatoire». «Pourquoi les Eglises chrétiennes seraient-elles les seules à avoir des limitations sur la façon dont elles gèrent leur patrimoine ?» s'indigne Farid Jubran.
Pour les autorités palestiniennes, ces mesures s'inscrivent dans un projet plus large de «judéisation» de la partie est de Jérusalem, que les Israéliens rêvent «indivisible». Une crainte renforcée depuis la reconnaissance de la ville «trois fois sainte» comme capitale de l'Etat hébreu par les Américains.
Lundi, Nir Barkat semblait ne rien vouloir lâcher : «La dette s'est accumulée sur des années. S'ils ne sont pas contents, l'Eglise n'a qu'à nous traîner en justice.» Après la trêve annoncée par le Premier ministre, et alors que les chrétiens de Vieille Ville célébraient leur victoire sur le parvis, il s'est dit déterminé à «faire régler les dettes passées et les futurs paiements d'impôts municipaux, conformément à la loi, au nom des résidents de Jérusalem». Selon les médias israéliens, le ministère des Affaires étrangères aurait désavoué sa brutalité, sensible à l'écho international propagée par les images des pèlerins éplorés, le visage collé aux portes fermées. Pour de nombreux croyants, la visite du Saint-Sépulcre est le voyage d'une vie.