Jan Kuciak, un journaliste slovaque de 27 ans qui enquêtait sur des affaires de corruption, et sa compagne ont été retrouvés assassinés, dimanche. L’éclairage de Pauline Adès-Mével, responsable de la zone UE-Balkans à Reporters sans frontières (RSF).
Comment réagissez-vous à ce meurtre ?
Même si la thèse d'une commande de la mafia italienne paraît privilégiée, nous restons très prudents sur les causes de cet assassinat. Il est cependant une nouvelle preuve que le journalisme d'investigation est terriblement menacé en Slovaquie. Plus globalement, il témoigne des difficultés croissantes de toute une génération de jeunes journalistes indépendants du pouvoir [Aktuality.sk, pour lequel travaillait Jan Kuciak, est détenu par des capitaux suisses et allemands, ndlr] qui enquêtent, contre vents et marées, sur les réseaux mafieux internationaux.
Quelles sont les menaces en Slovaquie ?
En l’absence d’institutions solides pour les protéger, les journalistes sont exposés à toutes sortes d’intimidations et de pressions, et de plus en plus malmenés. En promulguant un nouveau «Press Act» en 2007, le gouvernementa instauré par exemple un droit de réponse automatique pour toute personne qui s’estimerait diffamée ou insultée. Les peines peuvent aller jusqu’à huit ans de prison. L’autre menace, plus grave encore, est l’extrême concentration des médias. Depuis une dizaine d’années, avec la complicité du pouvoir, des grands industriels rachètent les journaux slovaques en contournant la loi. Puis bâillonnent les journalistes, encouragent l’autocensure, bannissent certains thèmes, et surtout coupent les moyens de l’investigation, leur bête noire.
Cette dégradation est-elle limitée à la Slovaquie ?
Pas du tout. Il y a eu l’assassinat à Malte d’une journaliste en octobre, les multiples violations de la liberté de la presse en Pologne, les menaces de mort contre des journalistes en Bulgarie, la situation épouvantable en Hongrie… Cet assassinat vient couronner une série noire qui signe un déclin des démocraties en Europe. Cela fait plusieurs décennies qu’on n’avait pas vu ça. Même en France cette dégradation se fait sentir : violences policières à l’encontre des journalistes, concentration oligarchique des médias, stigmatisation par certains politiciens etc.