Et si ? Et si Donald Trump, contre toute attente, faisait mieux que son prédécesseur sur le brûlant dossier des armes ? Après le massacre, fin 2012, dans l'école primaire de Newtown (Connecticut) - «le pire jour de ma présidence», avait dit Barack Obama -, le président démocrate s'était heurté à un mur. Majoritaires à la Chambre et dotés d'une minorité de blocage au Sénat, les républicains avaient torpillé un modeste durcissement des contrôles sur les armes.
La récente tuerie (17 morts le 14 février) dans un lycée de Parkland (Floride) a relancé, pour la énième fois, le débat. Echaudés par l'apathie post-Newtown, beaucoup anticipent déjà un scénario identique, sorte de transposition à la sauce «fusillade» des cinq étapes du deuil : choc, colère, négociation, indifférence, oubli. Et ce jusqu'au prochain mass shooting dans une école, un cinéma ou un concert.
Routine. Forts de leur énergie et leurs talents de communicants, sur Twitter notamment, les lycéens de Parkland entendent briser cette tragique routine. «Pas cette fois», martèlent ces néomilitants, dont le mouvement Never Again («Plus jamais») essaime. Depuis deux semaines, ils participent à des meetings, courent les plateaux télé, rencontrent des élus. Le 21 février, Trump les a reçus et écoutés. Et peut-être même entendus, à en croire ses propos étonnants tenus mercredi à la Maison Blanche. Lors d'une rencontre avec des élus démocrates et républicains, retransmise en direct à la télévision, le milliardaire a en effet soutenu des mesures de contrôle des armes bien plus strictes que celles envisagées par son parti.
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«Patriotes». «J'ai été extrêmement surpris par les propos du président, explique à Libération Robert Spitzer, politologue et auteur de plusieurs livres sur le sujet. Il a clairement indiqué qu'il soutenait certaines mesures rejetées par les républicains et la NRA [la National Rifle Association, le lobby des armes, ndlr], qu'il a rabaissée. C'est un changement majeur pour lui.» Parmi les mesures auxquelles Trump se dit favorable : des vérifications approfondies d'antécédents, des contrôles plus robustes pour les personnes souffrant de maladies mentales et le relèvement de 18 à 21 ans de l'âge légal pour acheter certaines armes. Actuellement, la loi fédérale interdit l'achat de pistolets aux moins de 21 ans mais autorise tout adulte de 18 ans à acheter un fusil. Y compris les fusils semi-automatiques de type AR-15, que le tireur de Parkland a utilisés. «Ce n'est pas très populaire à dire, du point de vue de la NRA, mais je le dis quand même. Vous ne pouvez pas acheter un pistolet à 18, 19 ou 20 ans. Mais à 18 ans, vous pouvez acheter l'arme utilisée dans cette terrible fusillade. Cela n'a pas de sens», a déclaré Trump, devant des élus républicains estomaqués. Pour eux comme pour la NRA, ce relèvement d'âge serait une violation flagrante - et inacceptable - du deuxième amendement de la Constitution, qui garantit aux Américains le droit de porter une arme.
Pendant près d'une heure, Trump a semblé incarner le Président qu'il avait promis d'être tout au long de sa campagne : rassembleur, négociateur, déterminé à briser la paralysie politique à Washington et à ne pas se laisser dicter sa conduite par les lobbies, aussi puissants soient-ils. La NRA lui a donné 30 millions de dollars (24,6 millions d'euros) - un record - au cours de sa campagne ? «Je suis un grand fan de la NRA. Ce sont de grands patriotes, ils aiment notre pays», cajole d'abord Trump. Avant de lancer aux élus : «La NRA a beaucoup de pouvoir. Elle a beaucoup de pouvoir sur vous. Elle en a moins sur moi. Certains d'entre vous sont pétrifiés par la NRA.» Venant d'un Président dont la priorité jusqu'à présent a été de consolider sa base, dans l'optique d'une campagne de réélection, de tels propos détonnent. «Il emprunte un chemin très périlleux, estime Harry Wilson, professeur à Roanoke College et spécialiste du débat sur les armes. De nombreux supporteurs de Trump sont proches de la NRA. S'il les déçoit, je ne sais pas ce qui restera de son noyau dur électoral en 2020.»
Déterminés à saisir l'opportunité offerte par Trump, les démocrates l'appellent à peser de tout son poids dans les discussions, en flattant au passage son ego et son désir de se transformer - enfin - en «roi du deal». «Monsieur le Président, c'est vous qui allez devoir amener les républicains autour de la table sur ce sujet, parce que sinon, le lobby des armes bloquera toute avancée», a lancé le sénateur démocrate Chris Murphy. «J'aime cette responsabilité. Il est temps qu'un Président monte au créneau», a répondu Trump, oubliant au passage les efforts répétés - quoique vains - d'Obama sur le sujet.
Compromis. Au-delà des mots, plusieurs questions se posent désormais. Donald Trump va-t-il faire preuve de constance ? Mi-janvier, lors d'une réunion similaire à la Maison Blanche sur l'immigration, il avait demandé aux élus de trouver un compromis bipartisan et promis de le soutenir. Trump l'avait finalement rejeté quelques jours plus tard, posant des conditions drastiques à toute réforme. «Les débuts de sa présidence nous ont montré que Trump change très souvent d'avis. On ignore si sur les armes il défendra les mêmes positions dans quelques jours, semaines ou mois», résume Robert Spitzer.
Même s'il reste ferme sur ce dossier, nombre d'observateurs doutent de la capacité du président à faire plier les républicains, d'autant plus en cette année d'élections législatives de mi-mandat. «Dans les régions où la NRA est forte, Trump sera incapable de convaincre un élu de voter pour un contrôle accru des armes. Car les élus savent que s'ils le font, ils perdront leur prochaine élection», analyse Harry Wilson. Qui estime par ailleurs que Trump ne fera pas de ce dossier une priorité à long terme : «Obama a entretenu le sujet pendant longtemps, en s'assurant que les médias continuent d'en parler. Si le Congrès n'a pas le courage d'agir, Trump n'aura pas la même persévérance. Il passera à autre chose. Il reparlera du mur avec le Mexique, du commerce ou des emplois, les sujets dont il se soucie vraiment.» D'ailleurs, jeudi, alors que le monde politico-médiatique analysait encore les propos du Président sur les armes, ce dernier a basculé sur un autre dossier. Et annoncé l'instauration de droits de douane punitifs sur les importations d'acier et d'aluminium.