Si un changement en profondeur de la législation sur le contrôle des armes devra forcément passer par les cases Maison Blanche et Congrès, plusieurs signaux indiquent que la période post-Parkland est charnière. Notamment pour la société civile. Outre la mobilisation inédite de la génération touchée par la fusillade - des adolescents qui, depuis, ne relâchent pas la pression sur leurs élus locaux -, le secteur privé est, ces derniers jours, contraint de prendre position dans le clivant débat sur le contrôle des armes à feu aux Etats-Unis.
Mercredi, alors que les élèves de Marjory-Stoneman-Douglas reprenaient le chemin du lycée, deux semaines après la tuerie où 17 de leurs camarades et professeurs ont trouvé la mort, deux grandes enseignes américaines ont annoncé leur intention de restreindre la vente d'armes dans leurs magasins. Walmart, géant de la grande distribution, dont les rayons proposent des armes à feu (destinées aux «sportifs et chasseurs», selon l'entreprise), a annoncé qu'il relevait l'âge de vente des armes et des munitions dans ses magasins à 21 ans. Depuis 2015, Walmart ne vend plus de fusils d'assaut semi-automatiques ni d'armes de poing (sauf en Alaska).
«Ça vaut le coup !»
Dick's Sporting Goods, l'une des plus grandes chaînes de magasins de sport du pays, avait pris les devants. Un peu plus tôt dans la journée, son PDG, Edward Stack, annonçait que son entreprise ne vendrait plus de fusils d'assaut semi-automatiques (vendus légalement dans plus de 40 Etats américains), ni de chargeurs à grande capacité, et refusera la vente d'armes aux moins de 21 ans bien que certaines législations locales l'autorisent. Le communiqué «implor[ait]» même les élus du pays «d'adopter une réforme de bon sens sur les armes». Et listait des mesures à prendre, comme l'interdiction complète de la vente des fusils d'assaut, le renforcement des contrôles d'antécédents et l'interdiction des ventes privées et autres foires aux armes.
Poussées par une campagne de boycott, de nombreuses entreprises ont, elles, dû prendre leurs distances avec la National Rifle Association (NRA), le principal lobby des armes aux Etats-Unis, accusé d'être responsable du blocage institutionnel de toute tentative de législation sur les armes. Etre l'un des cinq millions d'adhérents suppose en effet des devoirs - faire pression à tous les échelons politiques pour défendre le sacro-saint deuxième amendement de la Constitution -, mais aussi des avantages. Pour 40 dollars par an (1 500 dollars pour une souscription à vie, soit 1 230 euros), un détenteur de la carte de membre bénéficie d'un abonnement à Shooting Illustrated, ainsi que de tout un tas de réductions : polices d'assurance, médicaments, nuits d'hôtel, billets d'avion, voitures de location… «Ça vaut le coup d'être adhérent !» promet le site de la NRA.
Évolution
L’affichage de ces avantages commerciaux, jusque-là une façon d’appâter ce vaste portefeuille de clients potentiels à travers le pays, a entraîné, depuis la tuerie de Parkland, des désengagements en cascade. Le loueur de voitures Hertz, la société de logiciels antivirus Symantec, ou encore les compagnies aériennes Delta Air Lines et United Airlines ont annoncé qu’elles mettaient fin à ces programmes. En tout, une douzaine d’entreprises en quelques jours, selon l’organisation de gauche ThinkProgress. Ces décisions d’affichage - les annonces sont faites sur les réseaux sociaux, en réponse au hashtag #boycottNRA - n’en sont pas moins symboliques d’une évolution dans le rapport de forces.
Certaines résistent cependant à ce «name and shame». A l'instar du géant du transport de fret Fedex, qui refuse de revenir sur sa réduction de 26 % pour les membres de la NRA. «La NRA est une organisation parmi des centaines d'autres à bénéficier d'un programme de réduction de frais», a expliqué la compagnie dans un communiqué. Celle-ci ne «discriminera jamais personne, quelles que soient ses positions politiques ou ses croyances». Pour la NRA, cette campagne de boycott est une «démonstration honteuse de lâcheté politique et citoyenne». L'organisation minimise l'événement : «La perte d'une réduction ne va ni faire peur ni détourner un seul membre de la NRA de sa mission : défendre les libertés individuelles qui ont toujours fait des Etats-Unis la plus grande nation du monde.»