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Analyse

En Italie, une embellie économique en trompe-l’œil

Si le PIB italien est en hausse, la reprise est fragile : l’appareil de production vieillit, les investissements sont faibles et les inégalités sociales se creusent chaque année davantage.
publié le 2 mars 2018 à 21h06

Sur la feuille des indicateurs et autres prévisions économiques, le constat semble à première vue indiscutable : l'Italie se porte mieux. La troisième économie de la zone euro a enregistré l'année dernière la plus forte hausse de son produit intérieur brut (PIB) en sept ans (+ 1,4 %). Soutenue par la générosité de la Banque centrale européenne, la faiblesse de l'euro en 2016 et 2017 et un environnement international plus porteur, «l'Italie n'apparaît plus comme la lanterne rouge de l'Europe», comme aime à le répéter le président du Conseil, Paolo Gentiloni (Parti démocrate). Même les craintes liées à l'instabilité du secteur bancaire, qui détient à lui seul près du tiers des créances douteuses possédées par les banques de la zone euro, se sont dissipées à la suite de la nationalisation, au mois de juin, de la Banca Monte dei Paschi di Siena et de la mise en liquidation de deux banques vénitiennes. Pour autant, le niveau du PIB reste encore inférieur de 5,7 % à son niveau de 2008, avant la crise. Et en termes de croissance, la péninsule est loin derrière les 2,5% enregistrés par la zone euro l'an passé.

«Décrochage»

Si certains économistes veulent se montrer confiants quant à l'avenir économique de l'Italie, beaucoup estiment que l'embellie pourrait être de courte durée. Au centre des préoccupations : un vieillissement sans précédent de l'appareil productif. Patrick Artus, chef économiste de la banque Natixis, est formel : «Ce vieillissement de l'appareil de production est le résultat d'un sous-investissement qui dure depuis plus de vingt ans. Résultat, la productivité du travail ne cesse de chuter. Cette productivité a augmenté d'environ 25 % en moyenne dans l'ensemble des pays industrialisés, alors qu'elle baisse en Italie. C'est du jamais-vu.»

Pour les économistes, cette faiblesse de l'investissement s'explique essentiellement par une série de facteurs : manque de crédits, inadéquation entre la formation et les besoins des sociétés, environnement peu favorable aux entreprises… «La richesse produite par heure de travail en Italie ne cesse de chuter lorsqu'on la compare à celle de l'Allemagne et de la France. C'est un véritable décrochage», confirme Nicola Nobile, d'Oxford Economics. Le prochain gouvernement pourrait bien être rattrapé par cette réalité, qui prend de plus en plus la forme d'un cercle vicieux dans lequel la faible productivité pèse sur le résultat des entreprises, qui ont encore moins de raison d'investir. Avec à la clé la menace d'une hausse du chômage et (donc) une nouvelle baisse de la demande des ménages. Et, au bout du compte, de moindres rentrées fiscales, qui à leur tour ne manqueront pas de diminuer le niveau des dépenses publiques… «Le prochain gouvernement devra provoquer un choc fiscal dans l'espoir d'inciter des investissements productifs, c'est la seule façon de consolider l'actuelle reprise qui reste très fragile», estime Patrick Artus.

Indigents

En l'absence d'une reprise plus soutenue de l'investissement (et donc de la croissance) les jeunes pourraient continuer à faire leurs valises. La crise et l'austérité prolongée ont déjà entraîné un triplement en dix ans du nombre d'émigrants (150 000 par an). Et une part croissante (15 %) est composée de diplômés de l'enseignement supérieur. Le tout sur fond d'une Italie des riches toujours plus riches et des pauvres toujours plus pauvres, un mal endémique qui classe la péninsule parmi les mauvais élèves européens en matière d'inégalités. L'Italie étant la neuvième puissance économique de la planète, cette inégalité des richesses était l'un des thèmes qui ont alimenté la campagne. Au mois de décembre, Eurostat classait l'Italie au premier rang européen pour le nombre de pauvres, en valeur absolue, avec 10,4 millions de personnes éprouvant des difficultés à faire face à des dépenses imprévues, se loger ou encore se soigner. Et selon l'association Caritas, l'Italie compte 4,7 millions d'indigents : un chiffre qui a «plus que doublé depuis 2012».