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Interview

Ilvo Diamanti : «Les partis traditionnels sont aspirés par les néopopulismes»

Le chercheur italien Ilvo Diamanti développe le concept de «populocratie», qui s’étend en Europe.
par Eric Jozsef, correspondant à Rome
publié le 5 mars 2018 à 20h56

Sociologue, politologue et professeur à l'université d'Urbino, Ilvo Diamanti est l'auteur avec Marc Lazar de Popolocrazia (Laterza, 2018), un livre dans lequel les deux chercheurs analysent la transformation de la démocratie en Europe en «populocratie», caractérisée par le ressentiment et le rejet des classes dirigeantes. Il commente la situation politique italienne après le vote des législatives et la poussée des forces populistes et d'extrême droite.

Comment expliquer que l’extrême droite et les populistes représentent désormais plus de 50% du corps électoral italien ? 

Le phénomène des néopopulismes n'est pas propre à l'Italie. C'est une tendance de fond que l'on observe dans toutes les démocraties européennes, qui s'exprime à partir d'un sentiment profond de vulnérabilité et de désorientation des citoyens. On la voit à l'œuvre aux Pays-Bas, en Autriche, en Belgique, mais aussi en France et en Allemagne. Ce n'est plus seulement une catégorie de la politique comme on disait autrefois les «partis populistes», c'est une transformation profonde des démocraties qui s'adaptent à la situation de rejet des classes dirigeantes. C'est pourquoi nous parlons de «populocratie». Cela va au-delà de la démocratie du public qui était caractérisée par l'élément central de la télévision. Désormais, cette populocratie passe avant tout par les réseaux sociaux. C'est la démocratie du ressentiment, de la haine envers les élites et pas uniquement envers les élites politiques. Les formations politiques traditionnelles sont aspirées par les néopopulismes parce que ceux-ci agissent sur leur terrain électoral. De ce point de vue, la CDU allemande [le parti conservateur d'Angela Merkel, ndlr] par exemple va avoir beaucoup de mal à résister à la pression de l'AfD. Quant à l'Italie, elle est un laboratoire. L'émergence de la Ligue lombarde remonte déjà aux années 80. Puis nous avons connu le parti lancé dans les années 90 par Silvio Berlusconi et aujourd'hui le Mouvement Cinq Etoiles.

Il n’y a donc pas de réelle spécificité italienne ?

Le Mouvement Cinq Etoiles a parfaitement réussi à récupérer la frustration sociale, la colère des exclus, le sentiment d’isolement dans les zones périphériques notamment parce que c’est un mouvement transversal, qui n’a pas d’héritage politique. Le M5S est particulier parce qu’il n’est ni de droite ni de gauche et qu’il utilise complètement les thèmes de la démocratie directe, de la transparence et du recours aux réseaux sociaux. Le problème politique qui va se poser pour lui, c’est cette transversalité. S’il devait faire par exemple une alliance avec la Ligue, il perdrait certains de ses soutiens. De même s’il devait faire un accord avec une partie de la gauche…

Un certain rejet de l’Europe a-t-il contribué à la montée de ces néopopulismes ? 

Il y a sans aucun doute un climat peu favorable à l’Europe aujourd’hui en Italie. Mais en réalité, l’attitude est ambivalente. Les Italiens n’aiment plus l’Europe, ni la monnaie unique, mais dans le même temps ils ont peur d’en sortir. C’est ce qui explique par exemple l’ambiguïté de Luigi Di Maio sur la question. Il est le parfait reflet de cette ambivalence. Un jour, il se prononce pour un référendum sur la monnaie unique. Un autre, il estime que la situation n’est plus propice pour un tel référendum. Parce qu’au fond, il y a une question fondamentale à laquelle les néopopulismes n’apportent pas de réponse : par quoi remplace-t-on l’Europe ?

Les vagues de migration sur les côtes italiennes et le manque de solidarité des autres pays européens ont-ils favorisé ce vote protestataire ? 

Toutes les études montrent qu’en réalité, la première source de préoccupation des citoyens italiens, c’est l’économie et la peur du futur. Le thème de l’invasion des migrants a été très exagéré. Mais il est vrai que la campagne électorale a été gouvernée par le sentiment d’urgence, en particulier après les événements de Macerata, lorsqu’un néofasciste a blessé début février six migrants par balles pour venger le meurtre présumé d’une jeune Italienne par des dealers nigérians. Cela a créé un climat général d’insécurité. Mais au-delà du climat et de la populocratie, se pose la question de l’offre politique alternative, en particulier à gauche qui, depuis longtemps, et pas seulement en Italie, n’est plus en contact avec les classes populaires.