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Libération
Reportage

Les Cinq Etoiles brillent à Fiumicino

Dans cette ville de la périphérie de Rome où le parti populiste est arrivé en tête avec 39 % des suffrages, les électeurs pointent le déclin économique et renvoient dos à dos droite et Parti démocrate. Ils se disent séduits par une campagne en rupture.
Fulvio De Sanctis, dans le centre d’Ostie mardi. (Photo Stéphanie Gengotti. MYOP)
par Eric Jozsef, correspondant à Rome
publié le 6 mars 2018 à 20h36

«Les élections ? On ne parle que de ça !» A l'extrémité du chenal de Fiumicino, entre les navires de plaisance et les chalutiers, les cinq ouvriers de la Coopérative du port de Trajan se prennent amicalement à partie. Trois d'entre eux ont voté pour le Mouvement Cinq Etoiles, (M5S) comme près de 39 % des citoyens de cette circonscription (qui comprend aussi Ostie) à une vingtaine de kilomètres à l'ouest de Rome, et qui concentre 250 000 électeurs. «C'est un vote de protestation, lance d'emblée Marcello Tucciarone, 57 ans. On est submergés par les taxes, les politiciens ne font rien. L'activité économique est bloquée depuis des années. Nous avons 110 places dans le port, mais seulement quelque 70 bateaux présents.» Sur place, l'exploit du parti de Beppe Grillo et Luigi Di Maio (sept points de plus que le niveau national) a été complété dimanche par le succès des nationalistes de Fratelli d'Italia dirigés par Giorgia Meloni (8 % des voix), et aussi celui de la Ligue de Matteo Salvini. Dans ce territoire à la frontière du Mezzogiorno, l'ancien parti régionaliste du Nord fait une percée significative avec 12 % des suffrages, contre 0,2 % il y a seulement cinq ans. Au total, si l'on ajoute quelques autres formations mineures comme les néofascistes de CasaPound, les forces extrémistes et protestataires représentent plus de 60 % entre Fiumicino et Ostie. «Le résultat de la Ligue, c'est principalement un vote des jeunes et contre les immigrés. Et pourtant, ici, à Fiumicino, ceux-ci ne posent pas de gros problèmes et font les travaux des champs, comme la récolte des tomates, que les Italiens ne veulent plus faire», déplore Gianni Marongiu, le président de la coopérative qui a, lui, glissé un bulletin de vote en faveur du tout petit parti d'extrême gauche Potere al Popolo. «J'ai toujours voté à gauche, notamment communiste, poursuit le quinquagénaire. Mais cette fois, j'ai failli ne pas me rendre aux urnes. Voter pour le Parti démocrate de Matteo Renzi, c'était impossible.» Pour lui, le centre gauche est désormais trop à droite et éloigné des problèmes des classes populaires.

Photos Stéphanie Gengotti. Myop

«Mafia capitale»

Petite barbe grise et casquette sur la tête, Claudio Bagiolini s'avance devant la petite baraque sur le quai qui sert de bureau aux cinq membres de la coopérative. Retraité du Conseil national de la recherche, son petit bateau amarré, il vient chaque matin voir ses amis et les provoquer amicalement. «C'est ça, vous croyez vraiment que les Cinq Etoiles vont vous donner le revenu de citoyenneté de 1 000 euros par mois ?» Lui a voté PD. «Les Cinq Etoiles vont résoudre tous vos problèmes…» chante-t-il pour titiller ses camarades.

Mais rien n'entame la confiance des électeurs du M5S. «La droite n'a rien fait, la gauche non plus. Il faut essayer les autres, résume Maurizio Marongiu dans son anorak jaune. Au moins, les élus Cinq Etoiles se sont réduit leurs salaires de moitié. Ils sont honnêtes et vont récupérer des ressources en faisant des économies sur les dépenses inutiles et en luttant contre la corruption.» La crise est toujours durement ressentie dans la périphérie de Rome. Les cinq amis font le calcul. Sur neuf enfants, trois sont sans emploi. Trois autres, ceux de Claudio Bagiolini, sont partis travailler à l'étranger : «Ici, à Fiumicino, il n'y a pas plus de chômage que dans le reste du pays, car il y a un peu de boulot à l'aéroport [international de Rome]», situé à quelques kilomètres du port. «Le problème, c'est que ce sont des contrats à durée déterminée, des petits jobs, souligne Gianni Marongiu. La situation est totalement différente de celle que nous avons connue dans le passé. Nous, on entrait au boulot à 15 ans sans grande difficulté.» Les gens veulent «le changement», insiste Tommaso Tucciarone, tout en reconnaissant, comme ses compagnons, que la gestion de la ville de Rome par Virginia Raggi, la première maire M5S, n'a pas produit de grands bouleversements. «Mais avant eux, Rome c'était "mafia capitale".»

Tsunami protestataire

Dans le centre d'Ostie, au milieu des bâtiments à quatre étages, l'écrivain Fulvio De Sanctis ne dit pas autre chose. «J'ai voté en 2013 pour les Cinq Etoiles et pour Virginia Raggi. Les rues sont toujours sales et en mauvais état. Il y a toujours autant de vendeurs ambulants abusifs. Mais quelles sont les alternatives ?» Dimanche, il a une nouvelle fois glissé un bulletin M5S. «Dans un pays fatigué et sans illusion, les Cinq Etoiles apparaissent préférables à tous les autres. Sur l'Europe ou l'immigration par exemple, je n'ai toujours pas compris leur position. Mais cette ambiguïté explique peut-être le fait qu'ils aient pris des voix à droite, à gauche et auprès des abstentionnistes. En se présentant comme un parti plus institutionnel, c'est-à-dire en abandonnant avec Luigi Di Maio le langage véhément de Beppe Grillo, ils ont en tout cas réussi à attirer un électorat modéré.»

A Ostie, à l’ouest de Rome, mardi.

«Il y a un vrai malaise social à Ostie. Du chômage, des problèmes de logement et d'enclavement, mais comme dans à peu près toutes les banlieues d'Europe», met en avant Tobia Zevi, le jeune candidat démocrate dans une municipalité autrefois de centre gauche, récemment passée aux Cinq Etoiles. Malgré une campagne de porte-à-porte, il a subi de plein fouet le tsunami protestataire au niveau national et n'a recueilli que 20 % des voix. «Si la gauche veut se révéler, analyse-t-il, il faut étudier la méthode des Cinq Etoiles, entre travail sur le terrain et intense présence sur les réseaux sociaux. La gauche a depuis des années abandonné l'engagement de proximité et n'a pas réfléchi à un nouveau modèle politique, entre enracinement dans les territoires et nouveau monde numérique.»