Marcher près du jardin du Luxembourg à côté de Dan Mathews, c'est trimbaler un Godzilla végétarien frôlant les deux mètres, mais Dieu merci aujourd'hui, il a gardé sa culotte. Après tout, le vice-président de l'organisation Peta est un promoteur du strip-tease activiste. Sortant d'un déjeuner avec John Galliano, il est plutôt guilleret. «Jamais je n'aurais imaginé partager un jour un repas vegan avec Galliano ! Il m'a fait visiter ses ateliers chez Margiela : pas trace de fourrure ni de matières animales…» Dan Mathews a donc conclu un armistice avec un vieil ennemi qui, dans ses années LVMH, l'avait reçu dans son luxueux appartement parisien. Le designer n'était pas fou de fourrure, avait-il expliqué, mais Bernard Arnault en exigeait dans les collections, pour maintenir des prix élevés. Le défilé suivant, Galliano avait présenté un bonnet fait d'une tête de renard naturalisé. «Ses yeux morts tombaient au ras de ceux du mannequin !» La guerre était déclarée.
Le chat du Rostand, où nous commandons un café, est venu assister à l'entretien et une vieille dame qui prenait le thé, s'est mise, elle aussi, à poser des questions. Sûr de son charme, Dan Mathews laisse faire. On sent qu'il a réveillé en douceur son foie et son système digestif avec une assiette de granola. Il doit en falloir, des baies de goji, pour sustenter une carcasse chaussant du 46 (jamais de shoes en cuir, of course). Teint de latex, dents d'un blanc lavabo, l'activiste déroule en souriant un storytelling raconté des centaines de foie. Pardon, de fois. Dan est un Gulliver débonnaire, le genre que tout le monde aimerait avoir pour gendre. En général, il s'efforce de plaire : «C'est comme ça qu'on obtient le plus aisément ce que l'on veut» , dit-il, en adepte du cynisme bienveillant.
L'exhibitionnisme stratégique, Dan l'a inauguré en 1992 à Tokyo. S'il s'est baladé nu comme un ver vegan dans les rues en brandissant un panneau «Mieux vaut être nu que de porter de la fourrure», c'est parce qu'il n'avait ni budget ni troupes pour attirer l'attention sur une convention internationale de la fourrure. «Il fallait injecter un peu de style dans ce combat. L'idée nous est venue sur le vol de Tokyo, avec ma copine Julia.» Avec des numéros trouvés dans l'annuaire, ils avertirent quelques médias. Ils n'eurent ni froid aux fesses - sous adrénaline, on est couvert - ni aux yeux : Dan avait déjà fait le giton à Rome pour financer ses études. Ce qu'il faisait pour s'offrir du champagne, il pouvait bien le refaire pour la cause animale… L'image fit le tour du monde. Un brin d'activisme exhibitionniste permit à une poignée de militants sans budget de se faire connaître de millions de gens. Toujours prêt à payer de son impeccable plastique, Dan venait de découvrir une méthode.
Le boycott de la fourrure est un combat ancien. En mettant sa célébrité au service des bébés phoques en 1977, Brigitte Bardot a introduit l’activisme animalier dans le «star-system» et obtenu des résultats. Né une génération après elle, Dan Mathews appartient à l’ère du people, de MTV et de la presse tabloïd, de Madonna et des top-models. Disciple de B.B. - la célébrité au service d’un engagement -, il a augmenté sa force de conviction en y ajoutant un lubrifiant, l’humour.
Le sourire, son arme de destruction massive. Avec le fouet, bien sûr. Enfin, le chantage. Un des premiers a avoir plié fut Calvin Klein, après une attaque de son Q.G. de Manhattan : Peta avait tagué sous le logo Calvin Klein la phrase «tue les animaux» devant une forêt d'objectifs. Brillant communicant, Mathews a compris que faire poiler les gens était plus efficace que de les rebuter à coups d'images d'animaux dépecés. Avec un sourire un brin grinçant, parfois, si bien qu'une journaliste anglaise l'a comparé au Joker, le méchant de Batman.
Proche de la scène punk de Los Angeles, Dan s'est d'abord adressé aux Smiths - Morissey était végétarien avant que cela ne soit le nouveau conformisme - et à Nina Hagen, sa chanteuse favorite en 1980 (il raffole des exemplaires d'humains hors série, surtout les punks), qui a écrit Don't Kill the Animals pour Peta. Siouxsie and the Banshees, Talk Talk, les Pretenders ont suivi et MTV a relayé. A la fin des années 80, le magazine Time Out déclarait que Peta était tellement branché que cela faisait mal… Aujourd'hui, selon Dan, elle a deux millions d'adhérents aux Etats-Unis et deux millions dans le monde. «Peta a gagné l'image d'une organisation qui prend du bon temps, plutôt que d'un groupe de rabat-joie sentencieux, comme souvent les activistes.» D'ailleurs, Dan est né sous le signe de Halloween : à sa naissance, un dimanche peu après minuit, l'accoucheur est arrivé déguisé en Dracula. Dit-il.
Chez lui en Virginie, il collectionne les tableaux de clown et des trophées bizarres achetés dans les boutiques de seconde main. Un des passages les plus marrants de son livre est le chapitre où il se retrouve enfermé dans une cellule à Boston, vêtu d'un simple caleçon Bob l'Eponge acheté chez Target, alors qu'il devait donner une conférence à Harvard. Le soupçonnant d'en rajouter, nous avons vérifié. Le Harvard Crimson de l'époque confirme tout - excepté le motif du caleçon. Le journal dénonce au passage une «tactique histrionique». Après tout, qu'un ami des bêtes fasse le cabot n'a rien d'infamant.
Pour faire son Mathews, Dan a besoin d'aimer la scène. Pamela Anderson, une amie de Malibu, l'appelle «mon mari gay». Elle a accepté de poser nue en format géant sur Time Square, tout comme Nina Hagen, Pink, et aujourd'hui Gillian Anderson de X Files. Miss Alerte, qui aime autant que Dan semer la bouse, a du reste été le témoin de son mariage à Las Vegas. Chrissie Hynde, des Pretenders, était celle de son mari.
En 2017, Peta a fait craquer une de ses cibles les plus coriaces, le designer new-yorkais Michael Kors. «Le plus ignoble de tous, une Cruella d'Enfer…» selon Dan. Bien que ce dernier lui ait pourtant expliqué comment on tue les bébés astrakhan (les gerbantes vidéos de Peta font ça très bien), Kors persistait à travailler la fourrure. Dan est passé à la vitesse supérieure, l'attaque narcissique. «Michael Kors a un visage rouge et boursouflé, surmonté de cheveux frisottés de plus en plus clairsemés qu'il décolore inexplicablement», a-t-il écrit. Anna Wintour, Karl Lagerfeld ont été traités de «prétentieux et vulgaires» équipés de «physiques regrettables». Sa réplique culte reste sans doute celle qu'il a livrée au magazine Genre, qui lui demandait de nommer un homosexuel remarquable : «Andrew Cunanan, parce qu'il a réussi à empêcher Gianni Versace d'utiliser de la fourrure.» Cunanan, l'assassin de Versace à Miami. Bon, le prochain rendez-vous parisien de Dan, c'est chez Hermès.
25 octobre 1964 Naissance. 1er juillet 1985 Premier jour à Peta.
18 février 1992 A poil à Tokyo.
16 juillet 2003 Séjour en psychiatrie après une manifestation. Mars 2018 Publication de son autobiographie chez Flammarion.