Il aura fallu 59 semaines et 4 jours à Donald Trump pour mettre les pieds en Californie. Aucun de ses prédécesseurs n'avait mis autant de temps depuis Franklin Delano Roosevelt, en 1933, qui avait traversé le pays en train. Trump, lui, est venu en avion. Il est 11 h 23, mardi, quand Air Force One atterrit en territoire ennemi, à San Diego. Dans les airs, Trump — qui a viré le matin même son secrétaire d'Etat Rex Tillerson — se fend d'un tweet pour égratigner l'Etat le plus peuplé du pays : «Les politiques faisant de la Californie un Etat sanctuaire sont illégales, anticonstitutionnelles et mettent en danger la sécurité de notre nation tout entière. Des milliers de criminels étrangers dangereux et violents sont relâchés et risquent de s'attaquer à d'innocents Américains. CELA DOIT S'ARRÊTER !»
La première étape du déplacement présidentiel le mène à quelques kilomètres à l'est du poste-frontière d'Otay Mesa. C'est là, dans le désert, que sont installés depuis octobre huit prototypes du «grand et beau» mur que Donald Trump souhaite voir ériger tout au long de la frontière avec le Mexique. Hauts de dix mètres, leur résistance a été testée par les forces spéciales au cours des dernières semaines. Lequel recevra l'onction présidentielle ? Suspens… Tout juste Trump a-t-il dévoilé mardi sa préférence pour une barrière transparente en certains points, afin de voir du côté mexicain.
Le locataire de la Maison Blanche a également défendu l'efficacité de ces prototypes, jugeant que les portions actuelles, parfois vieilles d'une vingtaine d'années, n'étaient en rien dissuasives pour les migrants venant du Mexique : «Ce sont des alpinistes professionnels. Certains sont des escaladeurs incroyables.» Pour lui, le mur est le seul remède efficace contre le «chaos». Ces considérations ne doivent toutefois pas masquer l'impasse dans laquelle semble se trouver ce projet emblématique de la campagne présidentielle du candidat Trump. Le Congrès américain refuse toujours de débloquer les fonds nécessaires au début des travaux, dont la facture pourrait monter jusqu'à 21 milliards de dollars.
«Acte de guerre»
A défaut de faire avancer cette cause, Donald Trump a donc continué la guerre des mots qui oppose son administration aux responsables démocrates californiens. Il s'en est ainsi pris au «boulot calamiteux» du gouverneur Jerry Brown, qui aurait fait exploser les impôts et permis aux «criminels» de circuler librement dans les villes sanctuaires. C'est le dossier le plus brûlant du moment. La semaine dernière, le ministre de la Justice Jeff Sessions a porté plainte contre l'Etat de Californie. Dans son viseur, trois lois votées par les autorités locales, visant notamment à limiter la collaboration entre les policiers californiens et leurs homologues fédéraux chargés de traquer les sans papiers. Pour Jeff Sessions, il s'agit d'une tentative de «sécession». Le ministre de la Justice a aussi attaqué Libby Schaaf, la maire d'Oakland, qui, fin février, avait averti ses administrés d'un raid imminent d'ICE, la police de l'immigration. Trump, de son côté, avait qualifié Schaaf de «honte» nationale.
Les responsables californiens n'hésitent pas à rendre les coups. Jerry Brown, le gouverneur démocrate, a qualifié la plainte de Jeff Sessions «d'acte de guerre» visant à instituer un «règne de la terreur». Entrés en «résistance» contre l'administration Trump, ils savent être soutenus par la majorité de leurs administrés. En 2016, les électeurs ont accordé 4 millions de votes supplémentaires à Hillary Clinton. Les sondages attribuent une cote de popularité de 30 % à Donald Trump en Californie, bien moins que la moyenne nationale. Quant aux candidats républicains qui se préparent aux élections de mi-mandat, on leur recommande de pas trop afficher leur soutien à la Maison Blanche.
Ces derniers mois, de nombreuses escarmouches ont eu lieu : législation sur la marijuana, forages pétroliers offshore, lutte contre le changement climatique… autant de sujets de désaccord, mais rien d’aussi brûlant que la question des immigrants. Il faut dire que la Californie, sixième économie du monde, ne tiendrait pas sans cette main-d’œuvre bon marché qui fait vivre des secteurs entiers, comme l’agriculture. Plus largement, on considère que sur les 40 millions de personnes vivant dans le «Golden State», 10 millions sont immigrées. Le bras-de-fer, nouvel épisode du conflit entre l’Etat fédéral et les droits des Etats, pourrait se régler devant la Cour suprême.