Tout semble joué pour le scrutin de ce dimanche en Russie. Le président sortant, Vladimir Poutine, devrait sortir par le haut des urnes pour prolonger son séjour kremlinois de six ans. Au moins. Mais les ingénieurs politiques du Kremlin se sont donné une tâche autrement plus délicate que de faire élire le favori. Plus qu’une victoire, il faut un plébiscite.
Or dans une Russie en stagnation économique, avec une nette détérioration du pouvoir d’achat ces dernières années, isolée diplomatiquement, bouleversée par des réformes sociales désastreuses (santé, éducation), engoncée dans un corset de lois liberticides, l’électeur est bougon. D’autant plus que personne n’a le moindre doute sur l’issue des élections. Et même les partisans de Poutine, que ce soit par conviction ou par résignation, seront tentés de rester chez eux dimanche, convaincus que la besogne se fera bien sans eux.
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Qui plus est, depuis le début des années 2000, le Kremlin a méthodiquement dépolitisé la société, comptant, pour maintenir son emprise, sur une faible participation des électeurs à des scrutins qui n’en avaient souvent plus que le nom. Campagnes atones, candidats caricaturaux et adoubés par le pouvoir, route barrée à l’opposition, falsifications grossières et résultats prévisibles… Autant de facteurs qui ont rendu l’exercice électoral dépourvu d’intérêt. Mais ces efforts sont allés trop loin, soulignent les experts. Le taux de participation est devenu tellement bas que les chiffres officiels ne reflètent plus du tout la réalité du soutien. En 2012, Vladimir Poutine a remporté 71% des voix avec un taux de participation de 65%, c’est-à-dire qu’il a été choisi par 46% de la base électorale russes, officiellement. Sauf que depuis, et surtout après l’annexion de la Crimée en 2014, le président russe culmine à 86% dans les sondages. Le vote de dimanche ne peut et ne doit pas infirmer ce succès. De plus, en l’absence de toute concurrence réelle, Poutine étant le seul véritable candidat à sa réélection, l’absentéisme devient un signe de désaveu à son intention.
Envoi de selfies dans les bureaux de vote
Le Kremlin s’est brûlé les ailes en 2011-2012, quand les falsifications trop grossières ont précipité dans les rues des citadins en colère, ce qui a sensiblement gâché la fête de retour de Poutine, après l’intérim de Dmitri Medvedev. Cette année, les directives ont donc été aussi claires que contradictoires, pour un objectif de 70% de participation et 70% de voix pour le candidat du pouvoir: il faut absolument augmenter la participation sans le faire de manière trop triviale et visible.
Mais soit que le message n’a pas été compris, soit que les autorités locales ne savent plus faire autrement, soit qu’en fait l’objectif ne peut pas être atteint par d’autres moyens, les exemples d’aguichage pour attirer les gens aux urnes foisonnent. A Moscou, dans certains bureaux, les électeurs pourront en profiter pour faire un test oncologique gratuit. A Sotchi, les étudiants d’une université technique ont été menacés d’amendes s’ils n’allaient pas voter et sommés d’envoyer pour preuve des selfies, afin que le directeur puisse ensuite rendre des comptes au maire de la ville. Dans et autour des bureaux de vote, tombolas, concours, réductions, cadeaux, tous les moyens semblent bons pour exécuter le plan politique.
Et ce, malgré la mise en garde, en décembre dernier, par la présidente de la commission électorale Ella Pamfilova, qui avait déclaré: «Les autorités, les gouverneurs, n'ont qu'un moyen pour augmenter la participation: résoudre les problèmes des gens, et non pas les forcer, les malmener, les menacer qu'ils auront des soucis au travail…» Et de promettre que les abus seront punis.
Au-dessus de la mêlée
Poutine, crédité à 73% des intentions de vote, n'a pas pris de part active à sa propre campagne, en laissant ses «adversaires» s'écharper à l'occasion de débats clownesques. Selon les derniers sondages, la deuxième place se départagera entre le candidat communiste, Pavel Groudinine, et celui du LDPR, l'inoxydable nationaliste Vladimir Jirinovsky (6%). La sulfureuse Ksenia Sobtchak peut compter sur 1,2% des voix, tandis que le candidat de Iabloko, Grigori Iavlinski, et l'homme d'affaires Boris Titov ne dépasseront pas la barre des 1%.
Resté tout ce temps au-dessus de la mêlée, en dirigeant sage et occupé, Vladimir Poutine s'est tout de même fendu d'un message aux électeurs, in extremis, jeudi soir. «Pour qui voter, comment appliquer son droit à un choix libre, cela relève de la décision personnelle de chacun. Mais si l'on se soustrait à ce choix, alors ce choix essentiel et déterminant sera fait sans que votre avis a été pris en compte, a déclaré le président sortant dans une adresse diffusée par la chaîne russe RT. Je suis convaincu que chacun d'entre nous se soucie du destin de notre pays natal. C'est pourquoi je m'adresse à vous en vous demandant de vous rendre dans les bureaux de vote dimanche. Usez de votre droit à choisir l'avenir.»