L’annonce n’a surpris personne. Après deux ans de retraite, Milo Djukanovic, le charismatique leader autoritaire – et soupçonné de corruption – du Monténégro, fait son grand retour. Jamais vraiment parti, tant son ombre planait encore sur le Parti démocratique socialiste du Monténégro (DPS), il a été au pouvoir presque interruption de 1991 à 2016. Six fois Premier ministre, une fois président de la République, il est à 56 ans le seul dirigeant issu du communisme et toujours en activité.
Né dans une famille de classe moyenne supérieure en 1962, Milo Djukanovic rejoint à 17 ans la Ligue des communistes de Yougoslavie. Il monte les échelons rapidement, se fait remarquer et est pris sous l’aile de Slobodan Milosevic, l’ex-dictateur président de la République fédérale de Yougoslavie.
Premier ministre à 29 ans
En janvier 1989, et alors qu’il n’a que 26 ans, lui et deux autres jeunes militants mettent à la porte du parti tous les anciens apparatchiks. La Ligue des communistes de Yougoslavie est alors rebaptisée «Parti démocratique socialiste du Monténégro». Il devient Premier ministre le jour de ses 29 ans, et se fait réélire deux fois de suite, en 1993 puis en 1996.
Un an plus tard, il prend ses distances avec son mentor, Slobodan Milosevic, qui vient de perdre les élections législatives en Serbie et est affaibli par les guerres de Yougoslavie. Djukanovic rafle le poste de Président à Momir Bulatovic, un ancien allié pro-Milosevic, et évince tous les proches de son opposant.
Il instaure alors une politique progressiste : le Monténégro adopte le Deutsche Mark en 1999, Djukanovic prend publiquement position contre les guerres de Yougoslavie et accepte d’accueillir des réfugiés sur son sol, ainsi que de participer aux négociations avec Milosevic pour mettre fin aux conflits. En 2006, il organise un référendum pour l’indépendance du Monténégro, où le «oui» l’emporte à 55,5%.
Il décide alors d'entamer les procédures pour faire adhérer son pays à l'Union européenne et à l'Otan. Les négociations avec l'UE s'ouvrent en 2011 et progressent rapidement. Aujourd'hui, le Monténégro et la Macédoine sont considérés comme les pays les plus proches de l'adhésion. En février, la Commission européenne a même avancé l'échéance de 2025, dans le cas où ces Etats des Balkans occidentaux mettraient en place des réformes rapides. En 2017, le Monténégro devient le 29e pays membre de l'Otan.
Trafic de tabac et mafia
On peut s'asseoir à la table des négociations, et être considéré comme un criminel notoire. Le dirigeant est dans le collimateur de la justice depuis les années 90. Alors que le Monténégro est sous embargo, il aurait fait de son pays une plaque tournante de la contrebande de tabac. Ce trafic, ainsi que des opérations financières et d'obscurs investissements lui aurait permis, ainsi qu'à sa famille, de faire fortune : selon The Independent, son patrimoine est estimé à 12 millions d'euros.
Djukanovic aurait également entretenu des relations avec la mafia napolitaine. Suite à sa mise en cause par des repentis de la Camorra et de la Sacra corona unita en 2004, l’Italie émet un mandat d’arrêt contre lui, en faisant valoir que le Monténégro n’est pas un Etat souverain, et que par conséquent aucune immunité diplomatique n’est envisageable pour Milo Djukanovic. Ce dernier profite de l’indépendance de son pays, en 2006, pour remédier à cette situation et s’octroyer une immunité qui le protège toujours de toute poursuite judiciaire.
Enfin, son régime a muselé, voire menacé l'opposition et les médias. Les journaux indépendants et les militants anticorruption sont soumis à une pression permanente. En octobre 2015, des milliers de citoyens monténégrins descendent dans la rue pour réclamer la démission de Milo Djukanovic, l'instauration d'un gouvernement par intérim et la tenue d'élections anticipées. La manifestation est violemment réprimée par la police. En octobre 2016, son parti remporte les élections législatives, sans toutefois atteindre la majorité absolue. Il annonce alors renoncer au pouvoir, et laisse le pouvoir à son ministre des Finances et vice-président, Igor Luksic. Djukanovic avait déjà annoncé sa retraite en 2006, avant de revenir à son poste de Premier ministre en 2008.
Le 15 avril, il fera face à l’homme d’affaires Mladen Bojanic soutenu par le Front démocratique (coalition d’opposition), qui privilégie les relations avec la Russie. D’après les sondages, Djukanovic recueillerait pour l’instant 37% voix au premier tour.