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Libération
Reportage

Egypte : l’avènement annoncé du «nouveau raïs» Al-Sissi

Au Caire, les partisans du chef de l’Etat sortant organisent la campagne électorale à l’occasion de la présidentielle qui aura lieu du 26 au 28 mars. Un scrutin joué d’avance, tous les candidats ayant abandonné la course à l’exception d’un concurrent prétexte.
Une banderole de campagne à l’effigie du président Al-Sissi, le 14 mars au Caire. (Photo Nariman el-Mofty. AP)
publié le 22 mars 2018 à 20h26

C'est un grand jour pour Youssef : sa banderole est enfin arrivée. Le jeune homme la déroule doucement pour ne pas l'abîmer, alors qu'un de ses amis grimpe le long d'une échelle pour se hisser tout en haut d'un panneau en bois. «C'est pour la présidentielle. Je pose avec notre Président pour l'encourager et pour appeler mes voisins à voter pour lui», explique-t-il, avant de crier à son ami : «Ibrahim, tu l'accroches solidement et sans la froisser s'il te plaît !» Youssef fait partie de ces milliers d'Egyptiens pro-Al-Sissi à avoir investi dans une bannière. Dans les rues du Caire, elles sont partout, accrochées aux façades des immeubles, le long des trottoirs, sur les ronds-points, exhibant un Al-Sissi tout sourire, tantôt Président, tantôt chef des armées, entrepreneur ou encore rassembleur de tous les Egyptiens.

La plupart des banderoles, comme celle de Youssef, présentent un anonyme s'affichant au côté du président sortant, sorte de témoignage d'une loyauté indéfectible au plus haut personnage de l'Etat. Youssef a choisi comme emplacement l'entrée de son quartier, celui des chiffonniers, non loin de sa petite entreprise de recyclage. Coût de sa banderole : 45 euros, le cinquième de son salaire. «Il a sauvé l'Egypte de la guerre civile et des islamistes en 2013. Il a relancé l'économie et nous a redonné force et courage», affirme-t-il, lui qui incite ses deux employés à voter pour le président sortant. «Le jour du scrutin, je compte sur vous. Vous irez voter, vos salaires seront payés. Mais surtout, votez bien.»

Figure de junior

La machine Al-Sissi est en marche. Les médias d'Etat ou proches des autorités lui offrent quotidiennement un tremplin vers la première place du podium. Débats autour de ses réussites économique et militaire, reportages sur sa politique des grands travaux avec l'extension du canal de Suez ou la construction de la nouvelle capitale égyptienne, discussions autour de son implication pour trouver une solution aux conflits israélo-palestinien, libyen ou syrien. «Rien n'est laissé au hasard. Il dispose d'un appareil d'Etat bien huilé qui lui permet d'apparaître comme celui qui a redonné vie à l'Egypte après la parenthèse révolutionnaire et le gouvernement improbable des Frères musulmans. Il se présente comme un bâtisseur dans la droite ligne de Nasser, comme le nouveau raïs», indique un diplomate en poste au Caire. Un raïs qui a muselé comme jamais toutes les revendications d'émancipation d'une génération, brisant les espoirs nés lors du printemps arabe (lire ci-contre). Et qui sera reconduit sans suspense à l'issue du scrutin présidentiel organisé du 26 au 28 mars.

D’autant que face à lui, l’unique concurrent, Moussa Mostafa Moussa, dont la page Facebook vantait encore récemment les réussites du… président sortant, fait figure de junior. Ce challenger parfaitement francophone, chef d’une petite formation politique, a été sorti du chapeau au dernier moment, après l’éviction ou l’emprisonnement de tous les candidats sérieux. A peine connu, sans réel moyen, il affiche un programme qui propose une meilleure redistribution économique pour venir en aide aux plus pauvres. Mais pour ses détracteurs, il est le candidat prétexte sans lequel l’élection n’aurait pas pu se tenir, puisqu’Abdel Fattah al-Sissi aurait été le seul aspirant à sa succession. Ce dernier a par ailleurs indiqué qu’il ne briguerait pas de troisième mandat, un effet d’annonce pour l’opposition.

Dans le quartier populaire de Sayeda Zainab, non loin du centre-ville, les rues, méconnaissables, sont elles aussi couvertes de panneaux d'Al-Sissi. Mais ici, certains commerçants affichent une mine fermée, se plaignent d'avoir été «invités» par les forces de sécurité à accrocher toutes ces banderoles. «Pas question pour nous de refuser sous peine de voir notre commerce fermer après les élections, dit discrètement l'un d'eux. Moi, je vais voter pour lui, ça ne fait aucun doute. Les temps sont durs et il est le seul en Egypte à réunir une majorité autour de lui, à bénéficier du soutien de l'armée et des grands investisseurs. Il est aussi très bien perçu à l'étranger.» Et d'ajouter : «Je n'avais néanmoins pas envie de m'afficher à ses côtés devant mon magasin. Ça m'a coûté cher tout ça.»

Nuée de mouches

Au même moment, des policiers en civil bourrent des bus de lycéens, ravis de sécher une journée d'école, pour les envoyer manifester leur soutien au Président. Peu après, ils se retrouvent Place Tahrir, rendue célèbre par la révolution de janvier 2011, agitant des petits drapeaux égyptiens. En l'absence de sondage ou d'étude sérieuse, personne ne sait ce que représente l'électorat du maréchal dans le pays. Mais il compte nombre de partisans comme Youssef. «Les Egyptiens iront voter en bloc et le Président sera réélu haut la main dès le premier tour», clame-t-il. Epaulé par ses deux employés, Youssef empile de grands sacs de toile remplis de déchets au milieu d'une nuée de mouches. Pour les plus pauvres, le premier mandat d'Al-Sissi n'a rien changé.