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Interview

Commerce : «Face à la Chine, Trump tire les grosses ficelles de la négociation»

Selon l’économiste Sébastien Jean, les menaces du président américain de surtaxer les importations chinoises relèvent d’une stratégie hasardeuse.
Un marché de l’acier à Shenyang, au nord-est de Pékin, le 9 mars. (Photo AFP)
publié le 23 mars 2018 à 21h06

Directeur du Centre d’études prospectives et d’informations internationales (Cepii), Sébastien Jean estime que les conséquences économiques de l’offensive commerciale des Etats-Unis contre la Chine restent incertaines.

Trump menace de taxer les importations chinoises à hauteur de 60 milliards de dollars, la Chine se dit prête à répliquer. Comment appréhender cette guerre commerciale ?

Je serais prudent avant de parler de «guerre». Il faut faire une nuance entre les annonces et les actes, car Donald Trump n’est jamais avare d’annonces fracassantes en tout genre avant de faire des revirements assez brutaux. Je parlerais donc de «menace». L’annonce de Trump disant qu’il était prêt à surtaxer les importations chinoises a été faite exactement deux semaines après son annonce sur sa volonté de taxer les importations d’acier et d’aluminium aux Etats-Unis. Cette déclaration devait prendre effet jeudi. Mais, entre-temps, elle a été amoindrie par des exemptions qui ont été accordées à nombre de partenaires, comme l’Europe ou encore la Corée du Sud. Mais ces exemptions sont temporaires. C’est là une façon de faire planer une menace.

Faut-il y voir une manière de provoquer de nouvelles négociations commerciales, notamment avec la Chine ?

Il y a maintenant un schéma clair dans la façon de faire de Donald Trump : il commence par des déclarations fracassantes et menaçantes en essayant de déstabiliser ses partenaires, pour finalement vouloir les faire venir à la table des négociations. Ce qui n’empêche pas les Etats-Unis de se dédire ensuite. Cela a été le cas avec l’Accord de libre-échange nord-américain, sur le dossier de l’acier, et c’est aussi le cas avec la Corée du Nord.

Faut-il y voir la marque d’un ancien négociateur en biens immobiliers ?

Oui, on peut y voir des similitudes. Mais il y a une différence avec le monde de l’immobilier : lorsqu’on est à la tête d’un Etat, la crédibilité, le soft-power qui consiste à faire valoir ses propres intérêts dans les relations internationales à travers des moyens non coercitifs, est un élément très important. Or, au fur et à mesure que Trump tire ses grosses ficelles de la négociation, il effrite progressivement le capital de crédibilité de celui qui prétend être un fin négociateur. En fait, il érode le capital de la stratégie de soft-power qui a caractérisé l’influence des Etats-Unis depuis plusieurs décennies.

Mais on ne peut nier que le déficit commercial des Etats-Unis vis-à-vis de la Chine est gigantesque…

C’est vrai, puisque ce déficit frôlait les 380 milliards de dollars en 2017. Et c’est vrai que la Chine viole, comme le dénonce Trump, des droits de propriété intellectuelle américains. Washington reproche à Pékin de tirer profit du système des co-entreprises imposé aux entreprises étrangères qui s’implantent en Chine pour piller les innovations technologiques américaines. Et il revient en permanence sur le niveau du déficit commercial avec la Chine. Mais il est assez probable que si les Etats-Unis adoptaient les mesures de rétorsion contre Pékin, cela aurait assez peu d’impact sur le déficit commercial du pays.

Pourquoi ?

Si les Etats-Unis ont un déficit courant, c’est qu’ils vivent au-dessus de leurs moyens. Ils consomment plus qu’ils ne gagnent. Pour corriger un déficit comme le leur, il leur faut adopter des politiques macroéconomiques qui consistent, par exemple, à taxer plus la consommation que la production. Or, les Etats-Unis sont le seul pays de l’OCDE qui n’a pas de TVA.

Que se passera-t-il si l’administration Trump décide d’augmenter ses droits de douane sur les produits chinois ?

D’une part, les importations que les Etats-Unis ne feront plus à partir de la Chine, ils les feront probablement d’autres pays. D’autre part, il pourrait y avoir des mouvements sur les taux de change de certaines monnaies, comme la devise chinoise (le yuan), qui s’ajusteront après l’application de ces sanctions commerciales. Il n’y aura donc pas d’effet, ou presque, sur la balance commerciale américaine.

On sait que la Chine achète massivement des bons du Trésor américain et finance ainsi l’endettement des Etats-Unis. En guise de contre-offensive, Pékin peut-il cesser cette forme de soutien ?

C’est vrai que la Chine est un des premiers pays détenteurs de bons du Trésor américain. Pékin accumule l’équivalent de 1 500 milliards de dollars en bons publics. Pour autant, la Chine en fera-t-elle une arme en disant aux Américains : «Nous allons fortement ralentir nos achats de bons du Trésor» ?

Si elle le faisait, elle provoquerait un effondrement des cours des bons du Trésor et donc une hausse des taux d’intérêt que les Etats-Unis devraient proposer aux investisseurs. Dit autrement, cela renchérirait la capacité des Etats-Unis à s’endetter. Et ce sont les Chinois qui pourraient être les premières victimes de l’utilisation d’une telle arme : la Chine verrait alors se déprécier la valeur des bons qu’elle détient à mesure que s’effondreraient les cours des bons du Trésor sur les marchés financiers internationaux.