«Le Heimat, ça ne veut pas dire le folklore, la tradition ou la nostalgie. […] Cela veut dire l'ancrage, c'est un environnement culturellement enraciné dans un monde globalisé. Cela veut dire la cohésion et la sécurité, ce dont chacun a besoin dans ce pays.»
Vendredi matin, le nouveau ministre de l'Intérieur allemand, le conservateur bavarois Horst Seehofer, détaillait devant le Bundestag sa conception toute personnelle du mot Heimat. Une telle digression sémantique peut surprendre dans le cadre d'un discours sur les orientations de son ministère – le premier depuis sa prise de fonctions, mi-mars. C'est que ce terme lourdement connoté s'inscrit dans un débat agité en Allemagne, surtout depuis que le ministère de l'Intérieur fédéral a choisi de l'accoler à son en-tête.
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Heimat : ce mot est passablement intraduisible en français. Disons qu’il évoque les notions de «patrie», de «terroirs», de «chez nous». Il désigne un sentiment d’appartenance régional plutôt que national, et fait appel à l’intime plutôt qu’au collectif. Cela pourrait presque s’apparenter à l’expression «au bled», ou au «petit pays» cher à l’écrivain Gaël Faye. Le terme a par ailleurs été, et c’est bien pour cela qu’il crée encore la controverse, utilisé par les nazis. Il fut également utilisé dans un slogan de l’AfD, le parti d’extrême droite allemand, lors de sa fondation en 2013.
Accoler «Heimat» à l’en-tête d’un ministère fédéral a fait réagir en Allemagne, beaucoup voyant dans la démarche la volonté de récupérer les faveurs d’un électorat d’extrême droite. On a pu également y voir la glorification d’un folklore douteux, voire un peu ridicule, comme en témoigne ce compte Twitter parodique, qui met en scène un plat de jarret de porc-choucroute typiquement allemand, assorti du slogan de campagne de Donald Trump :
#MakeHeimatGreatAgain pic.twitter.com/E4CmU5gOus
— Heimatministerium (@BMH_Bund) February 8, 2018
Toutefois, à gauche, des voix proposent de se réapproprier le terme, pour ne pas qu’il devienne l’apanage de l’AfD, comme de la droite ultraconservatrice représentée par Horst Seehofer.
En filigrane, on trouve la question de la politique migratoire allemande. Elle fut au centre des débats lors des élections législatives, et l'un des grands enjeux du contrat de coalition signé entre la CDU d'Angela Merkel et les sociaux démocrates. Elle est désormais aux mains de Horst Seehofer, qui a promis vendredi matin une immigration «contrôlée et limitée», un renforcement des contrôles aux frontières, une augmentation des dispositifs de vidéosurveillance à travers le pays et de manière générale, une politique de «tolérance zéro».
L'ancien ministre-président de Bavière s'est également distingué dès sa prise de fonctions la semaine dernière en affirmant que «l'islam n'appartient pas à l'Allemagne». Une déclaration en opposition totale aux propos habituels d'Angela Merkel sur le sujet. En retour, la chancelière a contredit son ministre deux fois depuis la semaine dernière, dont l'une lors de son discours de politique générale, mardi, au Bundestag.